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[1] Popote : Dans l’argot des combattants, désigne à la fois la cuisine roulante, et le fait de cuisiner. Par extension, la popote est la réunion des personnes qui mangent en commun.

22 février

Dampierre
(voir topo tome VIII)

t8-DAMPIERRE-PlansDessinésELOBBEDEY_0015Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Nous nous levons assez tard et nous rendons à la popote*. Après cela, le café bu au travail. Nous sommes heureux de notre installation. Dans la matinée nous recevons la visite du sergent fourrier de la 8e Jombart rentré hier soir de Sainte-Menehould. Il nous fait rire en nous expliquant le nez qu’il a fait en rentrant à Braux-Saint-Rémy où il n’y avait plus personne. Ce n’est pas sans mal qu’il est arrivé à Dampierre vers 11 heures du soir après s’être renseigné aux quatre coins du chemin sur l’endroit vers lequel nous nous étions dirigés.

Nous réglons avec lui les comptes de la compagnie et prenons livraison de tout ce qu’il a acheté.

Je reçois quantité de boîtes de pâté à distribuer aux hommes avant le départ. Je vais trouver le capitaine dans sa chambre et décide de faire les distributions aussitôt. Les hommes sont heureux d’avoir une amélioration dans leur musette.

Culine et Gibert viennent se plaindre que les hommes de leur section ont très peu de paille. Il faut que je me charge de leur en procurer : travail de cet après-midi.

Après mes distributions, je vois le capitaine Sénéchal, commandant le bataillon qui cause avec le capitaine Aubrun. Nous parlons question paille. Il ne faut pas compter sur l’intendance. Je décide donc de faire le nécessaire.

Mascart est au bureau quand je rentre. Il s’acquitte bien de ses fonctions et est heureux de son poste d’agent de liaison près du colonel. Celui-ci fait notes sur notes sur la propreté du cantonnement et le nettoyage des routes ; sur la tenue ; sur la consigne des cafés ; sur les sorties du cantonnement après la soupe de 17 heures : c’est la présence du général de corps d’armée qui nous vaut cette avalanche.

Lannoy lit tout cela au rapport de 10 heures. Le colonel préconise même un certain exercice. Vraiment c’est à croire que notre chef ne vit plus que de frousse.

À 11 heures nous mangeons en popote. On se distrait à parler encore et toujours de Sedan et nos hôtes nous racontent leur fugue lamentable de Pouru-Saint-Rémy qui doit être complètement brûlé. Ils ont trouvé ici une maison abandonnée et avec l’autorisation du maire s’y sont installés, vivant surtout du passage des troupes.

Mon après-midi se passe à chercher de la paille. Je me rends directement chez le maire qui m’indique deux fermes où je pourrais en trouver en donnant un bon de réquisition. Vers 3 heures, une bonne portion de bottes arrivait à la compagnie amenée par la voiture de compagnie. On fit les distributions et je pris quelques bottes pour le bureau. Licour se charge de nous faire une literie dans un coin de la pièce et promet à la châtelaine de tout enlever au départ. Le brave garçon d’ailleurs lave le couloir d’entrée à la grande satisfaction de notre propriétaire.

Vers 4 heures nous recevons la visite d’un capitaine d’état-major qui nous demande un homme dévoué, intelligent et dégourdi pour couper un peu de bois dans la demeure du général. Nous lui donnons Jacquinot qui n’a plus de magasin. Nous envoyons Licour acheter une boîte de homard, du vinaigre, etc.… Nous collationnons. C’est Lannoy qui a émis cette idée et cette idée est excellente.

Enfin le soir arrive et avec lui rentre au cantonnement une bonne partie de la compagnie qui a passé l’après-midi à aménager, rapproprier les alentours du cantonnement et nettoyer la route qui est boueuse. Depuis ce matin le temps s’est remis un peu au beau. Un léger soleil a brillé.

Le capitaine vient nous voir vers 5h30. Il met exercice demain matin et demain après-midi de 7 heures à 10 heures et de 2 à 5 sur la route de Sainte-Menehould.

Nous filons alors à notre popote annonçant la nouvelle à nos amis. Nous sommes satisfaits malgré tout : l’annonce de l’exercice signifie que nous ne partons pas demain.

La soirée se passe agréablement et à 9 heures nous étions couchés dans la paille côte à côte, Lannoy, Jamesse, Licour, Rogery et moi.

21 février

Départ de Braux

Je me lève à 8 heures, tandis que Lannoy revient ayant déjà été boire le café et déclarant qu’il n’y a plus d’alcool, de vin etc. tout a été bu hier. Il est furieux. Que voulez-vous ? Il fallait être là. Je suis occupé tranquillement à nous débarbouiller quand une note laconique arrive apportée par Brillant. Départ du campement à 9 heures. Le bataillon suivra une heure après etc.…

Une pointe de feu ne m’aurait pas fait sursauter davantage. Je n’ai donc que le temps : quand j’ai bouclé les malles et mis sac au dos, il est près de 9 heures. Je file donc vers la liaison du bataillon, boire rapidement un café à notre popote et emmène un cuisinier sur deux, Levers que Jamesse a averti en hâte.

Le campement cette fois conduit par Gallois s’en va sous les ordres du capitaine Crouzette de la 7e compagnie. Le temps est pluvieux et les routes détrempées.

Gallois me dit que nous allons cantonner à Dampierre. Nous tournons à droite à 1 km du départ, marchant bon pas, car le bataillon nous suit de près. Nous faisons une bonne pause. Nous repartons, tournons cette fois à gauche et 3 km plus loin traversons un village Voilemont. Une petite pluie fine tombe. Nous voici à moitié route. Nous filons sur Dampierre. Nous arrivons à l’entrée du village qui semble assez important. Nous faisons la pause tandis que le capitaine Crouzette se rend aux informations pour le cantonnement. Il est midi.

La pluie tombe tandis que le capitaine revient et que nous commençons. Pendant que nous sommes occupés à circuler à droite et à gauche, passe à cheval le lieutenant-colonel Desplats suivi de son état-major. Il me crie « bonjour » en passant. Pourquoi à moi plutôt qu’à d’autres ? Je l’ignore.

Fausse manœuvre. Alors que le cantonnement*, du moins le mien était presqu’organisé, un officier d’état-major vient trouver Crouzette. Celui-ci alors nous rassemble et place le bataillon par moitié : 6 et 7e avec le chef de bataillon de ce côté-ci du pays, 5 et 8e à l’autre extrémité.

Je fulmine en moi-même, mais je suis le capitaine qui court ni plus ni moins. Nous traversons le pays. J’ai le temps d’apercevoir une petite place avec l’église ; sur cette place beaucoup d’autos ; c’est le quartier général du 2e corps. Nous passons sur un pont et nous arrêtons à 400 m de là.

t8-DAMPIERRE-PlansDessinésELOBBEDEY_0015Je reçois mon cantonnement. Il est fait au bout d’une demi-heure. Le capitaine Aubrun les officiers et leur popote sont logés dans une maison de belle apparence habitée par une dame et son fils, la dame du juge de paix mobilisé.

On appelle cette maison le château ; un grand parc se trouve derrière. La propriétaire très aimable et de grande éducation me donne une pièce vide de tout meuble pour y installer le bureau. Je la remercie mille fois.

À côté du château se trouve une vaste grange : la compagnie y est aussitôt logée.

Non loin se trouve une maison où logent des braves gens évacués de Pouru-Saint-Rémy près Sedan (Ardennes). Levers s’y installe et fait déjà du café afin d’en offrir aux braves personnes qui nous donnent asile pour faire popote.

Quand tout est fait, vers 1h30, la compagnie s’amène. Le capitaine après avoir vu se déclare satisfait. À 2 heures tout était installé et nous entendions les chants des poilus contents. Mes camarades sont déjà occupés à boire le café de Levers tandis qu’ils disent quelques bonnes paroles aux habitants. Lannoy Jamesse et Rogery prennent possession du bureau. Aucun meuble ne s’y trouve ; seule une table et deux chaises ; c’est une vraie salle à manger que cette belle pièce qui nous rappelle un peu mon « chez moi ».

Le reste de l’après-midi se passe à compléter l’installation. Je m’occupe de faire les pièces, tandis que Lannoy va chercher la voiture de compagnie afin de l’installer dans notre cantonnement, Jamesse fait des étiquettes à placer « bureau, 5e compagnie, logement du capitaine, etc.… »

Vers 6 heures nous allons à la popote. Nous y trouvons la bande. Nous nous mettons à table à 6h30. Une bonne gaieté règne toute la soirée. Nous parlons des Ardennes avec nos hôtes et nos hôtesses et cela nous fait du bien de nous remémorer un peu Sedan.

À 9 heures nous partons nous coucher. Au-dessus de la popote se trouve un beau grenier rempli de paille où la bande Culine, Diat, Gibert, Cattelot, Maxime va se blottir. Nous nous chargeons de la faire avertir en cas d’alerte. Quant à Lannoy, Jamesse et moi nous rentrons rejoindre Rogery. Nous nous étendons sur le plancher. C’est un peu dur mais côte à côte on dort bien quand même.

20 février

Braux-Saint-Rémy (voir topo tome VIII)

Nous passons une excellente nuit dans notre grenier, quoiqu’il n’y fasse pas très chaud. On se lève vers 7 heures. Débarbouillage dans un ruisseau voisin. Puis nous nous rendons à la popote* pour y prendre le café.

La matinée se passe dans les paperasses. Nous faisons encore quelques distributions d’effets. Ce qui ne peut être employé est placé dans la voiture de compagnie. Celle-ci est surchargée.

Nous recevons à ce sujet une note du bataillon. Le sergent fourrier Legueil de la compagnie de jour, la 6e heureusement pour moi, se rendra à Élise avec sa voiture de compagnie après avoir ramassé le reste des magasins des compagnies. Il versera toutes les fournitures à l’officier de détail. Ainsi dit ainsi fait. Jacquinot verse ce qu’il y a de moins utile et allège ainsi la voiture.

Nous nous mettons à table à 11 heures et y restons jusque 2 heures de l’après-midi. On s’amuse bien et quelques bonnes blagues sont racontées.

Nous recevons dans l’après-midi, la visite au bureau du sous-lieutenant Monchy qui vient nous dire bonjour. On se plaît à se remémorer le bureau de Sedan et à se féliciter d’être encore au complet : Monchy, Lannoy, Jamesse et moi. C’est un garçon charmant que Monchy.

La journée se passe tranquille. La soirée à table est plus mouvementée car nos cuisiniers ont trouvé du champagne et nous fêtons les citations de Culine, Lannoy et Gibert qui est relevé de sa garde.

Nous recevons une note du bataillon disant que le caporal fourrier de la 6e Verleene et Jombart sergent fourrier de la 8e vont demain à Sainte-Menehould.

Les compagnies sont priées de leur porter le montant des denrées qu’elles désireraient faire acheter, ainsi que l’argent. Lannoy va donc trouver le capitaine et revient bientôt m’envoyant à la liaison porter la note. Je trouve toute la bande au premier étage de l’école. Je ne m’attarde pas, tandis que Jombart me dit toute sa satisfaction d’être de sortie demain : départ à 4 heures, rentrée à la nuit.

La soirée à la popote se passe gaiement. On sable le champagne, on chante. Bref il est minuit quand on songe à aller se coucher. Lannoy a quitté vers 9 heures, le lâcheur, disant qu’il a du travail. Sans doute est-ce pour se donner de l’importance, car il n’y a aucun travail urgent.

Que diable, on dormira davantage demain matin.

19 février – Quatrième partie

Quatrième partie – La Champagne


Chapitre 1 – Arrivée en Champagne
Départ de Charmontois

Vers 4 heures du matin, je suis réveillé en sursaut par quelqu’un qui entre en criant alerte. C’est Brillant qui m’apporte une longue note que je lis après avoir dit à Rogery de réveiller tout le monde.

Note du général de division disant que la 4e division doit loger ce soir dans la vallée de l’Ante. Note du colonel fixant le départ de tout le régiment pour 9 heures et du campement du 2e bataillon pour 7 heures. Note du chef de bataillon disant la même chose pour le campement : départ à 7 heures, les quatre fourriers sous les ordres du sergent fourrier Lobbedey plus l’ordinaire et les cuisiniers, plus une section de garde à l’arrivée, sous les ordres du capitaine Aubrun de la compagnie de jour.

Rassemblement à 6h45, sortie de Charmontois-le-Roi.

Je suis fixé et respire une minute tandis qu’un à un arrivent mes amis. Ceux-ci sachant le départ à 9 heures vont se recoucher, tandis que Rogery part avertir le capitaine et Jamesse en passant.

Je suis presque prêt quand Rogery revient avec les ordres pour la compagnie. Le commandement est délégué au lieutenant Alinat. Le sergent Cattelot fera le cantonnement* de la compagnie puisque je remplace l’adjudant de bataillon. La section Gibert partira avec le campement pour prendre la garde à l’arrivée au nouveau cantonnement.

C’est donc le vrai départ. J’avale un bon chocolat, garnis ma musette et mon bidon et dis au revoir à la mère Azéline qui s’est levée et pleure notre départ. Je vois Jacquinot qui me dit que tout le magasin se trouve sur la voiture de compagnie.

Il est 6 heures. Je pars à la liaison du bataillon. Je sors avec Paradis, Sauvage, Menneval. Dehors je rencontre Cattelot qui s’amène, Gibert et sa section, puis le capitaine Aubrun à cheval.

Celui-ci me dit de filer avec tout le monde à la sortie de Charmontois-le-Roi et de l’y attendre.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Nous partons donc du bureau du colonel où nous étions rassemblés. À Charmontois-le-Roi je dis au revoir en passant à Madame La Plotte et je m’arrête devant la famille Adam à qui je fais mes adieux.

Le capitaine Aubrun s’amène à cheval suivi du lieutenant Delepine officier de campement du 3e bataillon cantonné à Belval. Nous partons donc ensemble campements des 2e et 3e bataillons dans la direction de Le Chemin. Il est 7 heures. Le temps est sec et beau ; il fait un léger brouillard précurseur du soleil.

En route les deux officiers partent de l’avant me donnant la direction et me disant de faire la pause aux heures réglementaires.

Nous nous arrêtons un peu avant l’entrée à Le Chemin. Nous traversons ensuite le village et tournons à droite dans la direction de Passavant.

Je suis un peu mélancolique. Adieu, cher pays de Charmontois. Nous te serons toujours reconnaissants des bons moments que nous avons passés chez toi.

Le soleil s’est levé quand nous apercevons un gros village. Nous sommes toujours devancés par nos officiers. Je suis chef de colonne. Nous arrivons dans le pays paisible, Villers-en-Argonne. Nous le traversons.

Au milieu du village le capitaine Aubrun sort d’un café et me fait faire halte. Il nous donne le droit d’entrer nous installer au café et nous désaltérer. Quelle fête ! On allume une bonne cigarette et je bois une grenadine à l’eau de Selz qui me fait grand bien.

Un quart d’heure après nous repartons, tournons bientôt à gauche et laissons le 3e bataillon avec le lieutenant Delepine qui continue tout droit vers Élise, à ce que me dit le capitaine Aubrun. Quant à nous nous filons à Braux-Saint-Rémy.

Le capitaine continue à me devancer. Quelques kilomètres plus loin nous traversons la voie ferrée de Sainte-Menehould à Vitry-le-François. En gare, sans doute la station très petite certes de Villers-en-Argonne, nous voyons une locomotive blindée. La gare se trouve à 50 m à notre droite. Nous continuons et montons une côte, à la descente de laquelle nous tombons, après avoir rencontré une grande ferme sur notre gauche, sur la route de Sainte-Menehould à Vitry-le-François.

Chose curieuse, je rencontre le poteau indicateur disant Vitry-le-François 44,5 km ; et ce poteau je le reconnais pour l’avoir vu lors de la retraite et lors de la poursuite. Cela me fait quelque chose ; c’est comme un vieil ami que je rencontrerais après des mois.

En route nous avons rencontré l’automobile de la division. Nous traversons la route de Sainte-Menehould à Vitry et faisons une bonne pause au soleil. Il est 10 heures du matin.

Nous repartons vers un petit village que nous voyons à 1500 m. C’est Braux et le capitaine y est déjà.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

t8-Braux-PlansDessinésELOBBEDEY_0015

Plan dessiné par Émile Lobbedey

Nous arrivons dans le village vers 11 heures. Il fait un soleil magnifique. Le capitaine arrive à ma rencontre et nous commençons le cantonnement avec les ennuis et les péripéties de tous les cantonnements. Seulement celui-ci est un des plus fatigants avec le capitaine Aubrun qui au lieu de me laisser faire, va, vient, change, rechange, et au fond n’est pas très fixé.

Le colonel et son état-major logent ici. Puis à 1 heure un cycliste arrive et déclare qu’il cantonne à Élise.

Enfin à 2 heures tout est prêt. Le chef de bataillon, l’infirmerie et les docteurs sont logés par moi personnellement. Brillant de plus nous a accompagnés pour représenter l’état-major du bataillon. La liaison du bataillon est logée au premier dans l’école.

Quant au poste de police il est déjà installé au centre du village. Cattelot s’est chargé de la compagnie ; il nous a trouvé une popote. Moi j’ai trouvé un bureau. Tout est donc bien. Dans le village sont cantonnées des troupes de pontonniers [1] avec leurs médecins.

Je m’arrange avec l’un d’eux à qui je procure une chambre meilleure que celle qu’il occupait. J’hérite de ce fait de sa chambre et vais voir les propriétaires du logis, gens des moins affables, à qui je dis prendre la chambre pour moi en remplacement du major. Après bien des réticences, l’affaire est réglée.

Il peut être 3 heures quand le bataillon arrive. Il est placé une heure après son arrivée. Lannoy est très satisfait du bureau qui n’est autre qu’un petit bâtiment isolé où les propriétaires font leur pain et placent leur bois dans un petit grenier au-dessus. Ceux-ci nous prêtent des chaises ; comme table, deux tréteaux et une grande place recouverte d’une couverture, c’est tout ce qu’il faut. À côté se trouve une espèce d’atelier, où Jacquinot installe le soi-disant magasin, en allant aux voitures chercher son matériel qu’il transporte à brouette. J’avertis Lannoy qu’une chambre nous attend ce soir.

Licour est avec nous ainsi que Rogery. Une fois astiqués nous nous rendons vers le haut du village à notre popote*. Nous entrons dans une maison proprette où deux dames nous reçoivent.

Nous trouvons nos amis en partie autour du feu tandis que Levers et Delacensellerie font popote. Il peut être 5 heures. En face se trouve un petit débit de tabac assez bien achalandé. J’en profite pour me fournir de cigarettes.

Nous rentrons au bureau en attendant 7 heures. Nous causons avec nos propriétaires qui habitent en face de notre modeste logis. C’est une vieille dame et sa fille mariée dont le mari est mobilisé. Elles possèdent une maison en face qui donne asile à la popote de nos officiers.

La soirée se passe très bien. Nous dînons gaiement dans notre popote en compagnie de nos hôtesses qui disent que nous sommes chez nous. C’est extraordinaire dans ce pays, car les gens rivalisent pour montrer le moins d’amabilité.

Plusieurs fois durant le cantonnement le capitaine eut une prise de bec, particulièrement avec une femme qui ne voulait loger aucune popote, alors qu’elle habitait seule et qu’une magnifique et spacieuse cuisine se dévoilait à nous. Le capitaine a tout simplement réquisitionné la maison. De même nos hôtesses du bureau se plaignaient de devoir loger ; pourtant être deux et avoir deux demeures à soi et se plaindre d’avoir une pièce occupée par des officiers deux fois une heure par jour, je crois que c’est de l’exagération. Naturellement je me suis mis aussitôt de leur côté en les plaignant de tout ce tracas et de ce fait j’ai obtenu pour moi tout ce que j’ai voulu. On devient roublard dans le métier !

Nous mangeons donc de bon appétit. Nous recevons Rogery et Mascart qui nous apportent des notes : demain repos ; se tenir quand même prêt à partir. Nous chantons à la fin du repas, heureux d’être au chaud, autour d’une bonne table chez de charmants habitants.

Lannoy et moi nous quittons vers 8h30 pour nous diriger vers le lit espéré. Nous arrivons. Porte close. Longtemps nous frappons au volet et la grosse femme vient enfin ouvrir. Nous croyons entrer, mais la porte n’est ouverte qu’à demi et dans l’entrebâillement, elle nous déclare qu’elle loge un officier. La porte se referme. Est-ce vrai, pas vrai ? Nous prenons donc notre parti en braves, tout en ronchonnant un peu. Nous coucherons au grenier qui se trouve au-dessus du bureau avec Licour, Rogery, Jacquinot et Jamesse.

Bientôt allongés dans le foin, roulés dans nos couvertures, nous dormions à poings fermés.


[1] pontonniers : Les équipes de pontonniers sont des unités du génie militaire chargées de mettre en place, sur des cours d’eau, des ponts afin de permettre le franchissement de ceux-ci par les armées.

3 décembre

Relève pour la cote 211

Allant voir le capitaine, je rentre par la route de La Harazée au Four de Paris. Sur la route, adossées contre le talus, je vois quelques Kanias[ou cagna]. Ce sont les cuistots de la compagnie qui font popote*. Je reconnais en particulier Lavoine qui m’offre un quart* de « jus ».

O désespoir ! Durant la nuit, des apaches certes que nous envoyons à tous les diables, ont enlevé le carreau, volet noir de notre chambre à coucher. Du coup, le soir à la lumière nous serons vus dans notre intérieur. Quel dommage de ne pouvoir pincer les coupables.

Nous apprenons bientôt par le capitaine Sénéchal que nous quittons ce soir. On ne sait encore si c’est pour aller au repos ou en ligne. Nous sommes tous persuadés que c’est pour aller se cogner. Courquin rentre bientôt et nous raconte ses misères dans la pluie, sous un gourbi* minable et me traite de veinard.

Quand surprise ! dans l’après-midi, des troupes de chasseurs viennent prendre nos emplacements et nous partons à la cote 211 prendre position nous-mêmes derrière la première ligne du Four de Paris.

Heureux sommes-nous ! La pluie commence à tomber, on n’y prête pas attention.

a2_avancee_dans_les_sous_bois_boueuxNous arrivons bientôt à la Placardelle, mouillés par la pluie persistante. Pas de pause, on continue directement par un chemin boueux où on enfonce jusqu’à mi-jambe.

Point de direction : la Seigneurie. Quelle route ! Je manque de m’enliser et après de multiples peines, réussis à monter le talus de la route afin de continuer à travers champs. Je suis le capitaine Sénéchal qui peste contre le mauvais, tandis que, à 100 m de nous, dans un désordre remarquable, suit la 5e compagnie, première relevée du bataillon.

Nous arrivons enfin aux portes de la Seigneurie. Ce n’est pas notre cantonnement* ; il est occupé par des batteries d’artillerie. Le capitaine Sénéchal, après avoir pesté de nouveau et s’être chamaillé un peu, se voit obligé d’abandonner l’espoir de s’abriter à la ferme.

Pendant ce temps les compagnies s’amènent par paquets et se faufilent dans le bois aux positions à occuper, que nous connaissons pour y avoir déjà séjourné.

La pluie a cessé. Nous suivons notre chef dans la brume du soir vers la lisière du bois. C’est une nouvelle chevauchée dans la boue. Nous sommes tellement malheureux qu’on ne peut s’empêcher d’en rire.

Nous arrivons à la lisière. Un petit pavillon de chasse s’y trouve. Le capitaine s’y installe, bientôt rejoint par le commandant de compagnie Aubrun, Claire, Régnier et Péquin.

Pendant ce temps, un * rempli de paille et bien fait s’offre à ma vue. Nous nous y installons à quelques-uns pendant que Gauthier, suivi de quelques autres, trouve plus loin un abri qu’il préfère aux nôtres.CP-Gourbi

On annonce que le ravitaillement se trouve cote 211. Les cuistots, commandés par les caporaux d’ordinaire, s’y rendent donc. Pour nous, heureux suis-je que ce n’est pas mon tour. Menneval s’appuie la corvée*. Il rentre à 9 heures, couvert de boue, s’étend aplati avec Gauthier, plusieurs fois au grand détriment des vivres.

Le sommeil ne tarde pas à nous gagner. Nous avons quand même la force de faire une partie de cartes avant de nous coucher.

 

27 novembre

Le temps n’est pas à la pluie. Nous sommes cependant en plein dégel et les terrains sont détrempés.

Nous sommes à présent tout reposés et attendons tranquillement le moment de repartir.

Le courrier arrive régulièrement l’après-midi avec le vaguemestre* Renaudin. Ce sont toujours des montagnes de lettres et de colis.

Dans la journée, je vais voir la popote* des sous-officiers de la compagnie. Dans l’établissement voisin se trouve le poste de secours. Je dis bonjour à quelques connaissances. Au premier étage se trouve un vieux piano. J’y joue quelques morceaux. VienneLeChateau-APZ0000661ACela me distrait. Je n’avais plus vu une touche depuis Marville où je jouais parfois un air sur le piano qui se trouvait à l’école.

Nous continuons ce soir la séance d’hier. Décidément le vent est à la gaieté. Très tard nous nous couchons. L’ordre de relever n’arrive pas. Nous nous réjouissons.

Je couche toujours avec Carpentier sur le sommier du lit tandis que les autres s’étendent sur les paillasses et matelas par terre. Tout cela est dans un état répugnant. Rien d’étonnant que la vermine ait toujours le dernier mot.

23 novembre

Nuit à la cote 211 – Ferme de la Seigneurie

Nuit excellente, agrémentée cependant de quelques démangeaisons. On se lève au plus vite à 8 heures tandis que le courageux Gauthier est occupé à faire le café.

Les agents de liaison* en second sont heureux également dans leur coin. Ils nous sont d’un précieux concours pour copier les notes et les communiquer car les notes sont très nombreuses.

Je vais voir Louis qui a passé un bon séjour de tranchées* et ne m’apprend rien de particulier.

A la compagnie, le capitaine est installé avec le sous-lieutenant Vals. Le feu pétille. Les cuisiniers Chochois et Chopin rivalisent d’activité.

Dans une pièce de derrière, je trouve l’adjudant Culine, Lannoy, sergent major, les sergents Moreau et Gibert occupés à se nettoyer et faire popote.

Dans l’après-midi, je vais au PC du colonel toucher, avec une corvée, des chaussures et du linge. J’amène tout cela au sergent major qui va en faire la distribution et j’hérite d’une paire de chaussettes.

Le temps est au beau depuis midi. Notre popote* de liaison fonctionne bien. Nous renvoyons vers 2 heures de Juniac qui nous fait ses adieux : il est évacué pour fatigue mais assure revenir sous peu. Nous voici donc avec Gallois à notre tête. Cela marchera admirablement car nous sommes tous, au même titre, bons camarades. Le caporal fourrier* Jombart met la note gaie dans notre comité. Il connaît de plus la cuisine. Nous commençons à manger très bien. Un riz au chocolat clôture le repas et c’est le cas de dire que nous nous léchons les doigts. Nous avons de plus trouvé dans la maison assiette et verres. C’est une des très rares fois qu’il nous est donc donné d’avoir un table, des bancs et un couvert. C’est donc la plus franche gaieté parmi nous.

Le vaguemestre* nous apporte chaque jour des paquets de lettres pour nos compagnies. Nous en avons chacun pour une heure à les trier. Bon nombre de paquets arrivent également. Ce sont des cris de joie quand l’un d’entre nous en reçoit un.

CP-arriveecourrierLe village est évacué. Des bruits comme toujours courent qu’il y avait des espions. Le moulin à eau fait toujours entendre son cri lugubre.

Une autre surprise peu agréable est l’arrivée de quelques obus non loin du village. Cela enlève un peu de notre verve.

Nous recevons la visite de Bourguignat, un ami de Sedan, secrétaire du trésorier-payeur. Il vient nous faire signer comme témoins les actes de décès de camarades tombés que nous connaissons ou les certificats d’origine de blessures de blessés connus.

Vers 4 heures, je pars à la ferme de la Seigneurie, laissant Blanchet à la liaison. 5e et 6e compagnies prennent position de nuit à la cote 211. Le capitaine Aubrun s’installe à la ferme. Je passe la soirée à jouer aux cartes avec quatre brancardiers du bataillon, deux infirmiers ayant un poste de secours, Tessier et Wydown (?), dans une pièce de la ferme. J’hérite d’un lit de Steenvoorde (Nord) avec draps, la ferme venant à peine d’être évacuée. Un ami du pays.
Je passe une nuit excellente et reste à la Placardelle au petit jour.

Les compagnies ne tardent pas à rentrer également.