Archives par étiquette : Louis

30 janvier

Cantonnement dans Charmontois-l’Abbé

Nous sommes au bureau quand vers 9 heures Mascart s’amène et nous annonce, ô stupeur, que nous devrons déménager et nous installer, toute la 5e compagnie, à Charmontois-l’Abbé.

À Charmontois-le-Roi, dans notre cantonnement*, le génie vient s’installer ; à nous de décamper pour lui faire place. Tout ceci me regarde. Je cours trouver le capitaine. Il n’y a qu’à se soumettre. J’ai trois heures pour faire un nouveau cantonnement. La compagnie va recevoir les ordres de déménager à midi.

Je file donc à Charmontois-l’Abbé et me rends aussitôt voir l’adjudant de bataillon Gallois. Ce qu’il est mou, ce brave ami ! Enfin après bien des tergiversations, j’ai un cantonnement nettement délimité qui fut en partie inoccupé et dont l’autre moitié a été vidée des compagnies occupantes qui se sont resserrées. Cela demandait un quart d’heure et m’a pris une heure.

Je cours et trotte jusque midi. Mon cantonnement n’est pas fini car je me heurte à un tas de gens qui se disent chez eux, poilus* installés depuis l’arrivée et qui jugent bien ennuyeux de décamper.

Enfin j’ai quatre granges : les quatre sections sont donc logées, c’est un résultat. L’ennui pour les braves poilus est qu’ils ont quitté des granges aménagées par eux en salon, pour des granges chaumières ; tout est donc à recommencer, et cela malgré tout ne plaît pas outre mesure. J’eus une discussion avec un fermier qui ne voulait loger personne : je l’indique au capitaine qui dit l’avoir à l’œil.

Je ne mange pas, car j’ai mon métier à cœur. Je cherche des logements pour mes officiers. Après bien des ennuis, j’obtiens enfin une chambre dans une maison proprette. Deux sous-officiers y couchaient. Je les expulse sans plus de façon et loge les sous-lieutenants Alinat et d’Ornant.

Je pars à Charmontois-le-Roi, vois ces messieurs à table et déclare au capitaine qu’il n’y a certainement rien de potable pour lui. Très heureux de sa chambre ici, il décide de rester cantonné à Charmontois-le-Roi avec le docteur Veyrat son vis-à-vis et de garder également avec lui sa popote.

Il peut être une heure, je vais voir la famille Adam ; je vois Lannoy et lui dit que je cherche toujours et trouverai dussé-je mettre même les habitants hors de chez eux ; je suis bien « hors de moi ».

Je vois Jaquinot à qui je dis d’amener ce qui lui reste en magasin à l’autre village. Je vais chercher un magasin. Ce magasin je le trouve sans trop de mal dans une espèce d’atelier de menuiserie qui se trouve sur le bord de la route. J’ai pour cela une discussion épique avec une vieille catachrèse [1] ; menaces, larmes, insultes, rien n’y fait, je suis intransigeant. Jaquinot arrive avec sa voiture et s’installe tranquillement tandis que la vieille tournaille comme une panthère autour de lui.

Les sous-lieutenants s’amènent aussi et je leur indique leur logement. Je commence à respirer. Il est 2 heures et voici cinq heures que je suis en route. C’est à devenir fou quand il faut faire feu de tout et souvent de rien.

Reste l’installation d’un bureau et de notre petite popote*. Ici c’est du roman.

Je décide de tirer parti de la colère de la propriétaire de mon magasin qui se plaint amèrement d’avoir à loger. Je lui dis que tout le monde doit payer son écot [2]. Ce n’est pas long à venir, le renseignement discret. Elle me cite un tas de gens qui ne logent personne, me montre des maisons et en particulier la maison d’une vieille voisine ennemie qui se trouve en face. La maison est d’assez belle apparence ; je la croyais occupée par des hommes de la C.H.R.* « Détrompez-vous ; c’est la plus avare et la plus riche du village ; elle habite seule et ne veut jamais loger ». C’est tout ce que je devais savoir.

Je me rends donc aussitôt chez ma riche propriétaire. Je passe derrière l’habitation et pousse le loquet d’une porte. J’aperçois une cuisine de campagne spacieuse ; un très petit feu au fond. Je ne puis en voir plus. Une femme qui ressemble aux trois furies réunies s’est élancée comme une folle brandissant un balai et poussant des cris sauvages. Je me retrouve dehors, la porte au nez.

Ah, ah ! Il faudra faire un siège en règle. Je rentre donc à Charmontois-le-Roi. Je vais chez Adam et reviens bientôt avec les cuisiniers armés de leurs armes (les marmites) et une partie de notre bande.

« Vouloir, c’est pouvoir ». Il est près de 3 heures. À 4 heures, nous serons maitres de la place. Nous nous arrêtons non loin de la demeure et faisons colloque. Nous décidons que : je rentre et coûte que coûte et fais face à l’ennemi : tenir ou mourir, ne pas se replier.

Dix minutes après Culine qui a du talent pour se concilier les grâces des vieilles gens (rappelons-nous le père Louis et le père Thomas de Florent) entre à son tour. Il engage des pourparlers.

Une demi-heure après Levers et Delacensellerie, nos cuisiniers, arrivent s’installent bien tranquillement sans s’occuper de ce que l’ennemi leur dit.

Le reste de la bande ne fait irruption que sur le cri « Aux armes ».

Je fais un long détour et comme un bandit m’introduis furtivement dans la cuisine, fermant la porte rapidement derrière moi. J’y suis, j’y reste. La vieille femme a été surprise par mon intrusion. Quand elle se ressaisit, il est trop tard ; je suis assis sur une chaise basse près du misérable feu et engage la conversation. On me répond par des menaces, puis survient un flot de larmes. Je reste inébranlable. Il fait froid, je viens me chauffer et ne demande rien.

J’ai devant moi une misérable vieille recroquevillée sur elle-même, les mains sur quelques brindilles qui flambent à peine et un couvet [3] sous les jupes, à la mode d’autrefois. Cependant, mon succès s’accentue, car elle commence à parler du malheur des temps, des boches qui lors de l’invasion lui ont tout pris, de ses rhumatismes, de sa solitude. Je profite de ce mot pour faire un dithyrambe [4] sur le contact d’une popote de sous-officiers qui pour rien vous nourrit, vous chauffe et même à l’occasion vous indemnise.

Culine survient en se frottant les mains et criant « qu’il fait froid ». Il vient directement sur la brave vieille et lui tend la main en s’informant de sa santé. Il la plaint de toute son âme d’être ainsi seule et abandonnée, lui dit qu’il lui fera porter du bois et qu’il chargera ses cuisiniers de lui faire un bon thé au rhum bien chaud. La vieille ne réussit à placer un mot. Elle regarde mon camarade d’un air ahuri. Celui-ci déjà lui frappe sur l’épaule, lui demande son âge, lui jure ses grands dieux qu’elle paraît beaucoup plus jeune, qu’en la voyant il croit voir sa grand-mère qu’il aime tant et qu’il désespère de revoir, etc., etc.…

Sans façon il ouvre une porte qui donne dans une grande salle. La vieille s’élance sur lui. Il la prend dans ses bras, l’air peiné, et la reconduit à sa chaise, en la réprimandant de se mettre dans des états pareils qui lui font tort à sa santé.

J’engage la conversation avec Culine et tous deux nous déplorons le manque de popote dans la maison. « Madame serait si heureuse ». Culine se lève noble et fier et déclare qu’il veut le bien de celle qu’il considère comme une grand-mère. Malgré ses protestations ils veulent lui rendre service. Elle est seule, elle aura du monde. Elle n’a pas de bois, on lui en donnera. On la nourrira, on soignera ses rhumatismes. La brave femme ne sait si elle doit se juger heureuse ou non qu’on lui porte un tel intérêt. Elle n’a pas beaucoup le temps d’y songer. Nos cuisiniers arrivent ne pouvant s’empêcher de rire. Il est 3h30. L’action a été menée rapidement.

La brave femme mange une tartine beurrée que Levers lui a coupée incontinent et la forcée d’accepter, tandis que Delacensellerie fait du café. Et quand Lannoy rentre avec ses cahiers, il trouve la mère Azéline, c’est le nom de notre nouvelle propriétaire, en grande conversation avec nos deux cuisiniers à qui elle sourit car ils lui promettent le confort moderne.

Avec quelques difficultés, nous entrons dans la vaste pièce entrevue par Culine. Notre grand-mère nous recommande la propreté, le plus grand soin, un ordre sérieux, etc.… Etc.… On lui promet tout. Ce que nous voyons de plus clair, c’est que nous nous installons.

Et le soir tombe. Assis tranquillement, fumant ma cigarette, je me repose sur la position conquise, tandis que toute la bande arrivée un à un discrètement par intervalles se presse autour de la bonne maman et qu’un feu énorme monte dans le foyer.

Nos cuisiniers vaquent à leurs occupations comme si de rien n’était. Ils descendent les plats, décrochent les marmites de la maison, vont et viennent. Et quand la vieille élève une protestation, ils lui ordonnent de se chauffer et de ne s’occuper de rien. « À votre âge, on se laisse soigner » déclare noblement Levers.

http://artet.chez.com/legris.jpg

Legris

Vers 5 heures je me rends chez le capitaine Aubrun pour lui rendre compte que tout est installé ; section, bureau, magasin etc.… Je rentre chez La Plotte où je trouve notre bande qui boit à la santé de la mère Azéline. Nous trouvons ici le chef de musique Legris accompagné d’un de mes amis, Girard de Paris, grand musicien. Madame a un violon et le chef de musique parle si bien qu’il obtient. On rit beaucoup.

Vers 6h30 nous rentrons à Charmontois-l’Abbé.

Réellement nos cuisiniers nous font honneur. Nous trouvons une table dressée dans la grande salle. Rien n’y manque. Nos poilus ont dévalisé la mère Azéline qui est déjà assise à la place d’honneur.

Nous nous mettons à table au milieu d’une rigolade générale. À présent il n’y a plus qu’une chose à obtenir, c’est d’allumer du feu dans la pièce que nous occupons. Cela aux dires de la maman est impossible car la cheminée est bouchée.

On se quitte à 8h30 après avoir fêté notre propriétaire tout heureuse qui dort sur la table.

Dans la pièce il y a un lit immense. Lannoy et moi en héritons. Jamesse nous a quittés à 8 heures pour se rendre chez le maire assez aimable pour lui faire profiter de la chambre laissée vacante par sa mère. Le veinard, il est choyé.

Quant aux autres, un vaste grenier rempli de bonne paille leur sert de refuge.

Nous sommes obligés de coucher la mère Azéline qui n’est pas habituée à nos libations. Quel fou rire !

Nous quittons la maison Azéline par un beau clair de lune et filons à travers champs vers la maison Adam. Lannoy et Culine me disent, chose que j’ignorais, que les demoiselles nous ont gardé nos lits. Nous passerons donc nos nuits là-bas.

Nous arrivons et trouvons des sous-officiers du génie occupés à faire popote. On cause avec eux et nous disons bonjour à nos amis Adam. Ils ont déclaré qu’ils n’avaient pas de chambre, nous disent-ils, une demi-heure après, quand nos camarades du génie sont partis se coucher. Ils ont dû accepter quand même la popote des sous-officiers et le bureau de la compagnie qui s’est installée dans la maison d’habitation.

Nous nous couchons, mais nous décidons que ce sera la dernière fois. Nous ennuyons plutôt de braves gens, nous sommes éloignés de notre cantonnement, nous en sommes en dehors et n’avons pas le droit de loger ici. De plus si nos amis du génie ont vent de l’affaire, des ennuis pourraient nous être causés.


[1] catachrèse : Il s’agit sans doute ici d’une erreur de vocabulaire. Catachrèse n’a évidemment aucun sens ici (fig. de style !). Le mot qui conviendrait le mieux est cacochyme !

[2] écot : Quote-part incombant à chacun, dans une dépense commune : Payer son écot.

[3] Couvet : pot plein de feu et de cendres 

[4] dithyrambe : Louange enthousiaste et, le plus souvent, démesurée, exagérée ; panégyrique.

16 janvier

Le commandant Desplats est nommé lieutenant-colonel et chef du 147e

Je me lève à 5h30. Heureux suis-je en dormant d’avoir pour ainsi dire l’intuition de l’heure. Je vais trouver le capitaine Claire pour le compte rendu du matin. Le capitaine occupe un gourbi* à deux pièces : la première lui sert de bureau et de salle à manger ; il s’y trouve une table et deux chaises ; la seconde lui sert de cuisine et de chambre à coucher ; il y a de la paille, une chaise et un foyer. Il loge là-dedans avec Stewart, son ordonnance.

a6_pcEnveloppé dans une énorme peau de bique, le capitaine se lève. J’ai les comptes rendus de la nuit des compagnies : nous faisons donc le nôtre que nous envoyons pour 6 heures au PC du colonel.

Le capitaine Claire m’annonce que le commandant Desplats a reçu hier le grade de lieutenant-colonel et la ratification du commandement du régiment.

La journée se passe tranquille. Je cesse de poster un homme pour observer l’arrivée du colonel Desplats. Je juge que les défenses accessoires [1] sont assez fournies : d’ailleurs tout le fil de fer donné était placé.

179_001Quelques notes arrivent que je fais communiquer aux compagnies.

Jombart me remet des lettres de ma famille. On y déplore toujours la disparition de mon cousin [Louis] [2]. J’ai émis la thèse qu’il pourrait être prisonnier. Tous y croient là-bas et je n’ai garde de leur dire le contraire [2].

Dans l’après-midi, une scène admirable se passe. Nous entendons des coups de feu. Aussitôt le capitaine Claire m’envoie là-haut voir ce qui s’y passe. Je m’élance donc au gourbi du sous-lieutenant Gout et essoufflé lui demande ce qu’il y a. « Rien » me répond-il « des coups de feu, mais nous sommes en guerre, mon brave ! » Je cours littéralement dans le dédale de la tranchée et tombe chez le capitaine Aubrun qui dort paisiblement. Je le réveille et lui demande ce qu’il y a lui expliquant rapidement ce qui se passe. Il envoie ses agents de liaison ; j’attends quelques minutes. Rien non plus, tout est au plus calme.

Je rentre donc. En descendant la cote qui mène au PC du bataillon je rencontre le capitaine Claire envoyé par le colonel Desplats. Au téléphone on dit qu’il n’y a rien : le colonel ne veut pas le croire. Je dis au capitaine Claire qu’il n’y a absolument rien d’anormal, et il redescend avec moi en haussant les épaules.

Mais où le fou rire me prend, c’est voyant dans la tranchée qui barre la route derrière la barrière de fil de fer fermée, toute la liaison les fusils braqués dans notre direction avec le colonel qui va et vient derrière braquant ses jumelles.

De celle-là je ne suis pas encore revenu.

Nous rentrons tandis que le colonel file vers son PC où sans doute tout le monde est également en armes.

Vers 4 heures, passe sur un brancard mon ami le sergent Pellé qui a un éclat de bombe au pied. Il me serre la main au passage en me disant : « mon vieux ! J’ai la blessure filons ».

Après le départ des cuisiniers, il se met à pleuvoir : joli temps ! Je parle avec le capitaine Claire ; celui-ci me dit qu’en effet nous aurons un long repos après cette relève. Cela me comble de joie.

Il pleut toute la soirée, et malgré sa bonne toiture le gourbi laisse filtrer quelques gouttes d’eau. Cela n’est rien après tout à côté de la douche du soir de la relève.


[1] défenses accessoires : Les défenses accessoires désignent les obstacles dressés au devant des tranchées pour se protéger des attaques ennemies ou les canaliser.

Pour en savoir plus : http://www.wiki-anjou.fr/images/1/17/Genie_1915-1918_museedugenieangers.pdf

[2] mon cousin Louis : comme l’atteste la carte postale ci-dessous (non datée), reçue par Émile Lobbedey, ses proches espèrent toujours que son cousin est vivant et prisonnier des allemands. Alors que lui même ne semble pas trop y croire…

IMG_1995

2 janvier

Relève* des tranchées*

Je me lève tard après avoir constaté toute la matinée que le calme se maintient malgré le jour. Sans doute les boches sont-ils à bout de souffle et les pertes leur donnent-elles à réfléchir. En tout cas, nos pertes sont lourdes également et plus d’un des nôtres qui croyait voir l’année 1915 dont on était si près ne l’aura pas vue : tel le pauvre Louis, mon cousin, dont je pleure la mort, n’ayant aucune confiance qu’ils soit blessé prisonnier. J’attends le repos d’ailleurs pour voir des hommes de la 8e et tâcher d’avoir quelques détails.

Vers 10 heures, le capitaine Sénéchal dit à l’adjudant Gallois que nous serons relevés ce soir. Celui-ci nous annonce la bonne nouvelle : c’est un soulagement général. Nous passons donc une journée meilleure, quoique pluvieuse car la délivrance de ce mauvais coin ne va pas tarder à sonner pour nous.

La majeure partie du temps se passe dans l’abri, car dehors il pleut sans discontinuer. Malgré quelques gouttes qui filtrent çà et là dans le gourbi*, nous sommes quand même à sec.

Le calme continu aussi bien dans l’après-midi que dans la matinée et vers 4 heures il m’est donné de partir avec les 3 autres fourriers, Menneval, Sauvage et Paradis faisant fonction. À part quelques balles et quelques obus qui nous rappellent que 1915 n’a pas encore amené la fin des hostilités, c’est la tranquillité qui suit les grandes batailles. Par contre le chemin est des plus sales, tandis que la pluie fine continue à tomber. Enfin après avoir pataugé sur un parcours de 1500 m, nous arrivons dans la Harazée, par le château. À la Harazée, faisant comme toujours les fonctions d’adjudant de bataillon, je rassemble les caporaux d’ordinaire et les cuisiniers non sans mal et leur crie « rendez-vous à Florent ! ». Je retrouve Gauthier et Jombart, et ensemble nous filons vers la Placardelle. Grâce au clair de lune, nous pouvons nous diriger facilement. Du haut de la côte de la Harazée, les 75 tonnent sans discontinuer. Les obus allemand rappliquent et c’est au pas de course que nous traversons la zone dangereuse.

Batterie de 75 dissimulé APD0000491

Batterie de 75 dissimulée – 1915.07.16 ©Ministère de la Culture

Nous voici dans la Placardelle où nous ne nous arrêtons pas, car les obus arrivent également de ce côté. Le village est mort d’ailleurs ; aucune âme qui vive ; et les maisons sont dans un état lamentable ; les obus pleuvent sur le hameau que l’ennemi croit sans doute cantonnement de troupes.

Voici la cote 211 ou quelques balles suivent. Une fois cela passé, on peut se juger sauvé. Alors seulement nous nous décidons à faire une première pause. La pluie a heureusement cessé de tomber. Les cuisiniers nous rejoignent avec le bruit significatif des marmites. Nous repartons aidés toujours du clair de lune ! Une nouvelle pause au parc d’artillerie et nous arrivons. Nous parlons à quelques artilleurs et leur racontons l’odyssée de notre séjour dans le bois ; en retour ils nous disent que de l’artillerie lourde est ici en quantité ; 120 long et court et 155 long. Le 155 tire à 15 km.

Camp des Hauts Bâtis, canon de 120 de long en action - 1915.07.16 ©Ministère de la Culture (France) - Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine - Diffusion RMN

Camp des Hauts Bâtis, canon de 120 de long en action – 1915.07.16 ©Ministère de la Culture

batterie 155 APD0000527

Batterie de 155 – 1915.07.16 ©Ministère de la Culture

Voici Florent. Une nouvelle pluie nous reçoit. Qu’importe ! Nous sommes tout à la joie d’être arrivés. À l’entrée nous rencontrons un bataillon du 120e, le bataillon qui doit relever le nôtre : nous avons donc bien le temps de faire un cantonnement potable, car le bataillon n’arrivera ici qu’au petit jour. Pourvu que nous ayons une belle rue.

Je me rends au bureau de la place à la mairie.

La fontaine sur la grande place - 1915.11 ©Ministère de la Culture (France) - Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine - Diffusion RMN

Florent, mairie (à gauche) et fontaine (au centre) sur la grande place – 1915.11 ©Ministère de la Culture

Là on me dit que le cantonnement est déjà fixé et qu’il me faut aller voir le chef de corps du 147 qui se trouvent au point N (voir topo Florent tome IV, l’ancien PC du capitaine Aubrun et du bataillon à l’un de nos séjours ici).Plans Florent

Je m’y rends donc aussitôt suivi de Jombart et des fourriers. Je sonne ; on m’ouvre ; je rentre dans une pièce où se trouvent les secrétaires du colonel, le sergent Pécheur à leur tête. Le capitaine de Lannurien, adjoint au colonel ne tarde pas à arriver d’une chambre à côté. Je le salue, lui demande le cantonnement et lui raconte certaines choses de l’attaque, la mort du lieutenant Régnier, l’État des 7e et 8e compagnies. Il ouvre grand les yeux, car il ne sait rien et va chercher le commandant Desplats. Celui-ci arrive et me demande force détails que je lui donne du mieux que je puis. Il écoute de toutes ses oreilles, abasourdi et furieux déjà que le commandement ne lui ait rien dit, furieux aussi qu’on se soit permis d’abîmer ainsi un de ses bataillons et d’avoir fait tuer ses officiers. À la fin il me serre la main, me traite ainsi que mes amis « de braves » et malgré la pluie sort avec nous pour nous montrer notre cantonnement, « le meilleur du village » dit-il. En effet, c’est la rue Dupuytien [en vert sur le plan]. Le cantonnement est facile à faire puisque nous y avons déjà logé. Le commandant nous invite, comme un vrai père, à nous caser rapidement, à faire du feu etc.…

Il nous demande si cela ira ; on sent que les nouvelles ont suscité chez lui de la pitié pour nous. Sur notre affirmative que tout ira bien, il s’en va.

Les cuisiniers se placent donc aux coins indiqués. Le caporal fourrier Jamesse de la 5e qui est avec les cuisiniers à la Harazée durant les séjours aux tranchées avec le caporal d’ordinaire Delbarre, arrive et fait le cantonnement des officiers et des sections.

Campement militaire : les cuisines - 1915.07.18 ©Ministère de la Culture (France) - Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine - Diffusion RMN

Florent, campement militaire : les cuisines – 1915.07.18 ©Ministère de la Culture

Quant à la liaison du bataillon, je l’installe dans la maison que nous occupions lors de nos séjours dans cette rue. Gauthier fait aussitôt du feu. Je m’installe, attendant, afin de sécher un peu mes effets au coin du foyer. À plusieurs reprises, Jamesse me demande des renseignements : de guerre lasse, je sors et loge les officiers dans les demeures qu’ils ont occupées ; le débit de tabac pour le capitaine, une demeure voisine où se trouve une vieille personne seule pour le sous-lieutenant Vals et la popote. Je profite de ma sortie pour rentrer chez un vieillard qui n’est pas encore couché, le père Louis, connu du quartier pour sa forte surdité : je m’empare d’une chambre où je vais loger l’adjudant Culine et le sergent major Lannoy.

À mon retour au coin du feu, je trouve Jombart qui me dit avoir déniché une chambre pour Gallois et moi. Je vais voir et trouve une chambre vaste et propre avec un large lit et des draps. Pour qu’il n’y ait pas de jaloux, je dis à Jombart de se coucher jusqu’au lendemain matin. À l’arrivée du bataillon Gallois et moi nous lui succéderons. Un lit avec des draps, si coucher déshabillé : une fortune, le bonheur ! La joie, l’expectative me rendrait fou, moi qui n’ai pas eu cela depuis 4 mois. Ainsi dit ainsi fait.

Je rentre donc boire le café préparé par Gauthier, place mes bagages dans un coin car je ne veux apporter tout cela dans la chambre que Gallois, Jombart et moi occuperons en catimini. Puis sur une chaise, près du feu, je somnole attendant le bataillon. Il est 11 heures. Celui-ci n’arrivera jamais ici avant 4 heures.

Le capitaine sénéchal comme toujours est logé au presbytère.

Tour de l'ancien Château

Le presbytère pourrait (?) être, selon le plan d’Émile Lobbedey, la maison de droite sur cette carte postale.

30 décembre

Triste fin d’année qui nous restera dans la mémoire. Le temps devient moins bon : une petite pluie fine est tombée durant la nuit. Tout, autour de nous, n’est que boue.

Au petit jour, nous nous levons, et continuons l’aménagement de notre abri. Peu après le lever du jour, du côté de 7e et 8e de petites fusillades éclatent qui nous tiennent en haleine. Quelques obus ajoutent à la musique. Chaque fois cependant c’est un vrai barrage de 65 et de 75 qui a bien vite fait de museler tout le monde.

Je vais au téléphone qui est installé près du PC. Les téléphonistes, de mes amis, me disent qu’à 6 et 5 calme, 7 et 8, tentatives d’attaque de l’ennemi.a6_standard_telephonique

Je songe aussitôt à mon cousin Louis. Pourvu qu’il ne lui arrive rien !.

Nous avons la visite du colonel du 120e qui trouve le moyen en passant d’attraper l’adjudant Gallois sous prétexte qu’il y a de la boue et refuse d’entendre toute explication.

La journée se passe dans un calme relatif mais on sent qu’il y a de l’électricité dans l’air. Vers 3 heures en effet le capitaine Sénéchal entendant une nouvelle fusillade part avec son adjudant à la 8e compagnie nous disant de rester où nous sommes.

Il est 6 heures, il n’est pas encore revenu ; Paradis le caporal fourrier de la 8e de voir, et revient nous disant que le capitaine s’est installé au PC de la 8e compagnie jusqu’à nouvel ordre et nous donne l’ordre de rester où nous sommes.

La nuit est tombée. L’arrivée de nos cuisiniers est imminente. Bientôt nous voyons arriver Gauthier et Jombart. À ce dernier, je remets toutes les affaires de Jean Carpentier : la dépouille a été ensevelie dans le cimetière du parc de La Harazée. TopoTI-LaHarazéeBJombart y a assisté. Je puis me tranquilliser, c’était bien. Deux énormes toiles de tente ont enveloppé le corps qui a gardé intacte son costume de sergent fourrier.

Jombart se charge de faire parvenir ses affaires au bureau du trésorier-payeur par le personnel des voitures de ravitaillement. Pendant ce temps, Gauthier fait réchauffer sa popote* et nous sert bientôt, tandis que nous mangeons de bon appétit.

Durant le repas, plusieurs fusillades éclatent : décidément il y a quelque chose d’anormal.

Puis il est 10 heures, c’est le retour de nos amis au village, tandis que nous éteignons notre bougie et nous attendons pour dormir.

Nuit calme. Du moins nous dormons comme des marmottes.


 

27 décembre

Toute la nuit il pleut. Ce n’est pas la gelée rêvée. Heureusement que nous avons bien couvert notre toit sinon nous serions inondés. Malgré quelques gouttes qui dans quelques coins tombent une à une, nous sommes assez à sec. Quel temps ! Heureux suis-je de ne pas avoir une ronde à faire cette nuit !

Vers 6 heures nous nous levons, car malgré tout les gouttes d’eau s’accumulent et finissent pour tremper nos couvertures. Gauthier et Jombart ne tardent pas à arriver. Jombart nous remet des lettres. J’en ai une de ma chère mère ainsi qu’un colis de friandises au milieu desquelles se prélasse un flacon de rhum. Il est le bienvenu et vidé aussitôt entre nous, car on ne sait jamais ce qui peut arriver d’heure en heure. Aussi profitons-en tout de suite.

La pluie a cessé. Mais quel boue dehors, la route est un torrent impétueux et les pauvres cuisiniers passent dans l’eau tranquillement jusqu’au-dessus de la cheville. Boyau dans la boue (Les Éparges)Quant à l’intérieur l’eau tombe toujours goutte-à-goutte et fini par faire des flaques d’eau. On place dans les sacs dans les coins où il ne pleut pas.

Toute la journée c’est un temps pluvieux qui pousse à la mélancolie.

Vers 10 heures nous tardons pas avoir bondir vers nous le commandant Desplats. Celui-ci m’attrape au passage et me dit « conduis-moi à ta compagnie ». Je file donc devant lui. Près du boyau dont nous allons faire l’ascension, les cadavres ont reçu une sépulture.

Prenant le capitaine Aubrun au passage, nous arrivons aux tranchées. Là, c’est une scène épique. Le commandant adresse dans son langage à lui la parole à chaque poilu. Quelques anecdotes méritent ici d’être reproduites.

Arrivant près d’un vieux caporal réserviste, le commandant en tenue de simple soldat, un vieux képi sur la tête, car il ne faut pas être vu par l’ennemi est malheureusement vu lui faire supposer qu’on est officier sinon c’est une balle rapide, bien tirée et souvent mortelle, le commandant qui nous précède tape sur l’épaule du poilu et lui dit : « me reconnais-tu ? – » Le caporal un peu la tête en l’air, lui tend la main « toi, tu dois être un type que j’ai connu aux tirailleurs » – « non, mon ami, je suis ton colonel ! » Et le commandant s’en va, laissant le caporal ahuri, morfondu et même a-t-on dit malade.

Plus loin, arrivant près de mon camarade le sergent Cattelot le chef lui dit montrant le parapet de la tranchée « il y a un boche ! ». Le sergent qui possède un calme parfait regard le parapet où il n’y a rien et l’officier qui trépigne « v’là un boche ! » Hurle ce dernier, tandis que Cattelot comprend de moins en moins. Alors fou de rage le commandant saisit le fusil et la baïonnette du sergent et fait la parodie d’une enfilade de boche qui aurait le toupet de se présenter sur le parapet de la tranchée, flanquant coups de pied, coups de crosse à des ennemis imaginaires qui l’entourent de tous côtés. Puis rendant l’arme au sergent ahuri, « fais en autant » lui dit-il. Alors j’assistais au spectacle grotesque de mon camarade se livrant à une gymnastique et à une escrime à la baïonnette effrénée sous le regard sévère de l’officier qui disparaît, tandis que le sergent est encore occupé à parer des coûts supposés.

Plus loin à 25 m mêmes demande, même cri « v’là un boche ! ». Le poilu, un loustic, à assister de loin à la scène Cattelot. Aussitôt, il s’élance sur le parapet : j’ai cru qu’il devenait fou. Pour récompense avec un sourire béat, le commandant lui remet une cigarette, tandis que l’entourage a toutes les peines du monde à ne pas pouffer de rire.

Nous continuons et tombons sur le vieux caporal Marie engagé volontaire de 50 ans. Celui-ci est nommé sergent sur l’heure.

Plus loin avisant un poilu de 20 ans « tu connais le caporal Marie ? » Lui demande le commandant. Sur l’affirmative de l’homme « eh bien ! Il est sergent ! ça t’épate, hein ? ». L’homme n’en est pas encore revenu.

Nous tombons dans le mauvais coin. Là un grand gaillard lance des grenades. « Halte ! » Crie le commandant. Et avisant le type « combien saurais-tu commander d’hommes ? 50 ? » Le bonhomme interpellait regard le vieux petit troupier inconnu et dans son patois montmartrois « tu parles, mon vieux, 50 ! » Dit-il d’un ton gouailleur « tu veux dire 25 ? » Et le commandant se tournant vers le capitaine Aubrun « vous proposerez cet homme pour le grade de caporal » dit-il. L’autre apprenant qu’il venait de tutoyer le commandant du régiment et qu’il serait caporal n’eut plus la force de continuer sa besogne.

Le commandant file vers la 6e compagnie, tandis que je rejoins mon poste et pas tout le temps du repos à raconter la bonne blague entendue.

L’après-midi se passe tranquillement sans trop d’obus, mais avec le bruit fréquent de mitrailleuses qui tirent. Le caporal Lionney, un de mes amis du pays, est avec la 7e dans un blockhaus et ne laisse pas les boches en repos. Vers 4 heures, se montre le sergent Noël blessé à la tête qui s’en va et me souhaite bonne chance ; nous nous embrassons.

Ce soir, c’est notre équipe qui va s’appuyer les rondes. À la tombée de la nuit, je reçois ma feuille : ronde à 11 heures. Carpentier doit en faire une à 5 heures du matin. Je le traite de veinard. Il aura sa nuit complète et le petit jour pour se guider. Nous faisons du chocolat à la fin de notre repas. Nous allions tout avaler quand je conseille d’en garder un peu jusqu’au lendemain afin que le matin nous n’ayons qu’à le réchauffer et le boire plutôt que le sempiternel café. Nous jouons aux cartes jusqu’à l’heure de ma ronde. del8_bronet_001z

Jean assez triste me cause de sa famille et de ses papiers qu’il ne faudrait envoyer que le territoire libéré : il est de Roubaix. Je le regarde et le traite de fou : qu’est-ce qui lui fait dire cela ? Tout de même la gaieté revient, on s’amuse follement dans une manille effrénée et c’est un spectacle peu banal de voir 4 salles, boueux, hirsute, assis sur le sol, dans une cahute, à la lueur vacillante d’une bougie et près d’un grand brasier, s’amusant aux cartes. Notre abri doit avoir tout l’air d’un abri de rouleurs sans foi ni loi.

À 11 heures je pars faire ma tournée et le clair de lune aidant je suis assez bien mon itinéraire.

Secteur Z :  En première ligne, casemate d'un canon de 65 - 1916.05.23 ©Ministère de la Culture (France) - Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine - Diffusion RMNVoici la 6e, la 5e compagnie, le capitaine Aubrun qui se repose ; je passe de là à la 7e où je rencontre le sous-lieutenant Fournier ; à la 8e, je vois mon cousin Louis, Lyonnet qui ne tire pas pour ne pas être repéré par le feu de sa mitrailleuse ; je me buque à un canon de 65 de montagne, Louis s’amuse de mon effarement ; enfin je rentre à bon port. Cela m’a pris 2 heures. Je suis sale mais je n’ai pas eu de pluie.

Je m’étends près de mon ami Carpentier sans le réveiller à la lueur du foyer qui se meurt. Je dors bientôt.


 

26 décembre

http://i.imagesde14-18.eu/1200x1200/CP_SENELET_0069-52075.jpgÀ 11 heures Jean Carpentier est parti. Je me réveille, lui souhaitant bonne chance. Il me couvre aimablement, et sort. Je repique au somme interrompu, voyant en image ce que d’ailleurs je devrai faire moi-même mon camarade, glissant dans la boue, butant, s’égratignant les mains, passant sur le dos des hommes étendus dans la tranchée*, surprenant un veilleur somnolent qu’il menace, se trompant ou croyant se tromper, revenant sur ses pas où pestant, se renseignant, trouvant enfin le chef commandant de compagnie demandé ; redégringolant se cognant dans l’obscurité à un homme qui proteste, butant la tête à une pierre. C’est une ballade agréable en vérité et quel résultat !

Je suis réveillé. Il est près de 2 heures. Jean est près de moi et sa colère s’exprime simplement « Tu sais, mon vieux… » cela en dit long.

http://www.dessins1418.fr/wordpress/wp-content/uploads/2014/04/segonzac_endormi.jpg

Soldat endormi, peinture de André Dunoyer de Segonzac, 1916 – Source : http://www.dessins1418.fr/wordpress/

Je pars à mon tour et le rêve devient une réalité bien triste assurément. Tout va passablement. Je file directement à la 6e compagnie ; je vois le capitaine Claire qui me signe mon papier et me recommande de ne pas manquer les sentinelles qui dorment. Il est occupé d’ailleurs à envoyer la demande de passage en conseil de guerre du soldat Godart, surpris 2 fois par lui en plein sommeil étant sentinelle.

Godart est un ex élève officier de réserve, première classe de la 5e compagnie, cassé par le capitaine Aubrun pour manque de courage vis-à-vis de l’ennemi est passé à la 6e comme 2e classe. Je ne le plains pas ; les lâches, il n’en faut pas. Je file par la tranchée vers la 5e compagnie ; je vois l’adjudant Drion de la 6e ; puis Gibert de la 5e, Culine adjudant, Pellé. Je fais une bonne pause en fumant avec eux : la nuit calme. Je descends ensuite chez le capitaine Aubrun : celui-ci s’ennuie à veiller et me retient pour causer une demi-heure.

Je rentre au gourbi, c’est la meilleure façon de ne pas me perdre ; j’ai mon idée. Je fais un chemin un peu plus long mais au moins je sais où je suis. Laissant le gourbi* je file par la tranchée qui se trouve derrière nous, occupés par la section du sergent Tercy ( ?) de la 7e. Ainsi j’arrive la 7e compagnie puis à la 8e où je trouve le lieutenant Régnier ; je vois Louis mon cousin dans la tranchée, c’est un cri de joie ; ne sachant où se trouve le chemin du retour il m’aiguille. En route je rencontre Sauvage sergent fourrier* de la 7e en ronde également ; il se plaint amèrement qu’il fait noir ; je ris beaucoup, heureux d’avoir fini. Je rentre et me couche : il est près de 5 heures du matin.

Je me réveille à l’arrivée des cuisiniers, j’étais profondément endormi. Le café est vite sur le feu. Le temps est sec ; je me secoue un peu à l’extérieur et rentre vivement, car il fait froid. Il ne tardera pas à geler.

Le secteur est assez calme, à part de rares fusillades et quelques obus qui tombent assez loin de nous. La 6e compagnie et une partie de la 5e compagnie, à part la section du sergent Vaucher, sont tranquilles. Mais les 7e et 8e compagnies ont l’ennemi à 30 m, des boyaux pris d’enfilade ; l’ennemi d’ailleurs est assez actif et les bombes tombent dru.

Carpentier va communiquer une note. Il revient disant qu’il a rencontré 2 hommes tués dans le boyau. Il n’a lui-même eu que le temps de s’aplatir et de ramper, car les balles ont salué son passage.

La journée se passe tranquillement, sinon la visite Desplats qui toujours bondit comme un homme caoutchouc et vous frôle avec la rapidité d’un express. Après avoir conféré longuement avec le capitaine Sénéchal il retourne suivi du lieutenant Péquin qui l’accompagne un bout de chemin. Passant devant nous, (nous sommes cachés dans l’abri), seul le cycliste Cailliez se trouve dehors, il aperçoit un vieux pantalon qui se trouve à 30 m de l’abri, dans les buissons. Ils s’arrêtent, demanda Cailliez ce qu’il est : « cycliste », lui montre le pantalon, les yeux lançant des éclairs, et lui dit « vous rentrerez dans le rang ». Le pauvre Cailliez, excellent soldat, qui n’est pas responsable d’un vieux chiffon des temps anciens laissé par un inconnu, est tout désolé. Il faut que le lieutenant Péquin de retour l’appelle en riant et lui dit de ne pas « se taper » (?).

La journée se passe à communiquer quelques ordres, à assister à l’aller et au retour des cuisiniers dans le costume et le chargement portique qui leur est propre, à écrire chez-soi et à regarder souvent si l’ami Desplats n’est pas visible à l’horizon. Cet homme est notre cauchemar.

leroux_cortege

Le cortège des cuistots, dessin de Pierre Lissac – Source : http://www.dessins1418.fr/wordpress/

Le soir tombe. La nuit sera bonne, car nous ne faisons des rondes qu’une nuit sur deux. Nous sommes bientôt allongés côte à côte et nous plongeons à corps perdu dans les bras de Morphée.


 

21 décembre

Tout va donc bien.

Les nuits que nous passons sont excellentes et un atmosphère de gaieté règne autour de nous. Est-ce la fin d’année ? Est-ce la proximité du concert ? Est-ce le repos et le bon secteur de Fontaine la Mitte qui nous procurent cette ambiance.

Ce n’est du moins pas le temps, car ce sont des pluies continuelles avec à peine quelques éclaircies.

De toute façon, nous ne bougeons pas de notre coin du feu où Gauthier se dépense sans compter à nous préparer des mets présentables.

Gallois se midi dépanne, vu ses nouveaux galons, à la popote du capitaine Sénéchal.

Cet après-midi il doit toucher son indemnité d’adjudant ; nous ne tarderons pas à festoyer et à fêter dignement notre nouveau promu.

La journée se passe à écrire, se nettoyer et jouer aux cartes. a6_partie_de_cartesRien de particulier à part l’arrivée du vaguemestre* et quelques notes que nous copions et communiquons ensuite à nos commandants de compagnie respectifs.

Le soir tombe, nous dînons tranquillement et bientôt allongés les uns contre les autres nous dormons, tandis que Gauthier, René et les cyclistes font une dernière manille. Au loin on entend les chants des sous-officiers de la 8e compagnie ; mon cousin et parmi eux. Ils sont donc heureux, tant mieux.