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4 janvier

Après une bonne nuit, je passe toute la matinée à écrire aux miens les péripéties des combats du 31 décembre et la disparition de mon cousin. Je descends à la 8e compagnie et interroge deux rescapés, les seules, de la section de Brésillon. Ceux-ci me racontent qu’arrivé devant la tranchée allemande aux fils de fer barbelés, mon cousin avec sa demie section se coucha, tâchant d’avancer en rampant. Une bombe le blessa à la bouche et quand on se replia, vu l’impossibilité d’avancer, le sergent Lobbedey ne se releva pas. À son tour l’ennemi à cet endroit contre-attaqua et prit quelques éléments de tranchées. Le lendemain le 1er d’infanterie reprit les éléments perdus. Aucun cadavre, aucun blessé ne fut revu : l’ennemi avait tout enlevé la nuit. J’en suis donc à des conjectures au sujet de mon brave parent ?

Vers 10 heures, Gallois vient m’annoncer que le commandant Desplats rentre au 128e et que le colonel de Bonneville lui succède dans le commandement du régiment.

À table, vers midi, je propose qu’on se cotise pour faire dire quelques prières pour Jean Carpentier. À l’unanimité c’est accepté. Je fais la quête et ramasse une trentaine de francs. Je décide donc d’aller trouver le curé de Florent et de lui demander de dire ou faire dire 15 messes pour mon pauvre ami défunt.

L’après-midi se passe tranquillement. Je suis assez heureux, car l’adjudant Culine m’a procuré un bon soldat comme brosseur. Je n’ai donc à m’occuper de rien. De plus la chambre est un intérieur qui me plaît et où je passe la majeure partie de la journée. Je reçois la visite du vaguemestre* Renaudin qui m’apporte quelques lettres et deux colis l’un à mon adresse l’autre à celle de mon cousin. Le colis pour moi m’est envoyé par Madame Parenty [1], notre grande amie de famille : friandises en quantité qui font ma joie. Quant au colis de mon malheureux cousin, je la garde avertissant les miens. Je leur adresse d’ailleurs, également ma chanson sur la Gruerie : je suis trop attristé pour songer encore à la chanter.

Vers 3 heures un énorme détachement composé en partie de classe 1915 arrive dans notre rue ; il est reparti par compagnies. Les 7e et 8e reçoivent presque tout le contingent.

Florent-APD0000552Quelques nouveaux gradés sont là également, tous sous-officiers ; un seul adjudant, Vieux colonial médaillé et retraité : l’adjudant Renaud qui passe à la 6e compagnie. Ainsi le bataillon est un peu remis sur pied mais ce n’est pas fameux, loin de là.

Le soir tombe, je rentre dans notre habitation et nous ne tardons pas à nous mettre à table. Gauthier comme toujours fait une excellente popote*. Puis nous montons, Gallois, Jombart et moi, afin de nous étendre le plus vite possible.


[1] Parenty : famille originaire de Calais, ils sont de bons amis de la famille Lobbedey, comme le montre cette carte postale datée de 1908, ci-dessous.

FamillePARENTY-Calais

19 novembre

Au petit jour, nous entendons une fusillade assez nourrie, suivie d’explosions nombreuses. Je cours au PC du capitaine Aubrun. Celui-ci est sur les dents, prêt à toute éventualité tandis que le 272e se tient à la disposition du capitaine commandant le bataillon.

On rend compte au capitaine de la 5e compagnie que c’est l’ennemi qui, voyant les carrés grillagés protégeant la tranchée, a dirigé un feu nourri tandis qu’il envoyait quantité de bombes sur ce pauvre rideau de protection qui n’a eu aucune vertu et est en miettes.

On déplore quelques blessés et un tué dont j’apprends le nom avec douleur : Georges Huyghe [1], un grand ami du pays, sergent-chef de section, tué au créneau en faisant le coup de feu avec ses hommes. Le sergent Collin, chef de section, est blessé également. Le capitaine est désemparé. Deux de ses chefs de section partent. Devant moi, il pleure et c’est un spectacle navrant.

Je rentre au PC du bataillon rendre compte au capitaine Sénéchal et retourne au PC de la compagnie où doit arriver le corps du héros. Celui-ci arrive tandis que les brancardiers sont déjà là. Nous recueillons ses papiers, le sergent major et moi, son portefeuille, son porte-monnaie, et adressons un au revoir à la dépouille dont la balle ennemie a ouvert le crâne.

Delporte me console car c’est un nouveau deuil pour mon cœur d’ami. Je passe mon après-midi sans goût et j’écris aux parents du malheureux camarade tombé ! Le vaguemestre* arrive sur ces entrefaites. Je reçois un mot des miens ainsi que de René Parenty, lieutenant, de mes meilleures relations. Cela me remonte un peu. Blanchet assure entièrement le service de liaison.

Vers le soir, une petite fusillade éclate et le 272e prend aussitôt position. Ce n’est qu’une fausse alerte. Le temps se maintient toujours beau, sec. Il gèle à pierre fendre, la clarté de la lune donne l’illusion qu’il fait jour.


[1] Georges Huyghe : Il s’agit de Georges Gaston HUYGHE, voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes.

FicheMDHarchives_G100652R