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[2] Kasba (casbah, kasbah ou qasaba) : En Afrique du Nord, citadelle et palais d’un souverain, parties hautes et fortifiées d’une ville. Dans le langage populaire il indique une maison, ici, il est synonyme de cagna.

6 octobre

Relève des tranchées

Je reçois une lettre de maman datée du 24 dernier. C’est une immense joie car les nouvelles se font rares. Voici 15 jours que nous sommes ici.papier-a-cigarettes-poilu-1914-1918

Les cuisiniers nous ont apporté un paquet de tabac. Ce qui manque, ce sont les feuilles de papier à cigarettes. On réussit quand même à en emprunter deux ou trois. Quand on n’en a pas, on fume dans un papier de journal.

Là où la pénurie se fait sentir davantage, c’est en bougies et allumettes. J’écris à la maison pour qu’on s’empresse de m’en envoyer.

C’est dire qu’avoir le nécessaire dans notre situation frise le luxe.

Vers midi, nous recevons la visite du colonel Rémond et du capitaine Sénéchal, accompagnés du cycliste Calonne. Le colonel fume sa pipe. Il parle à l’extérieur avec le commandant et s’en va vers 2 heures.

Le commandant nous fait alors communiquer que nous allons être relevés* le soir. Quelle bonne nouvelle ! À part quelques obus, la journée est assez calme. Espérons que tout se passera sans casse.

À la tombée de la nuit, des éléments du 87e arrivent, commandant en tête. Les consignes se passent. Je conduis l’agent de liaison de la compagnie correspondante à la mienne, à l’emplacement occupé et à occuper. Il peut être 10 heures quand celle-ci relève la 5e compagnie.Gallica-Releve-InfantTout le bataillon a rendez-vous dans Saint-Thomas où va se faire le rassemblement.

Je rejoins la liaison près du PC et notre Kasba*. Bientôt nous partons vers Saint-Thomas où les deux cyclistes et Gauthier nous ont précédés afin de préparer quelque chose de chaud.

Nous arrivons dans Saint-Thomas. Il peut être minuit. Le village est toujours aussi démoli. Il fait beau clair de lune. Les boches ne tirent que quelques shrapnells*. Voici le lieu de la popote*. C’est une maison dont le toit est percé et l’intérieur en piteux état. Il devait y avoir deux pièces ; l’une n’existe plus, l’autre, celle où nous entrons, a un mur défoncé. On y trouve cependant un restant de lit, deux chaises et une table boiteuse. Pour y accéder, il faut passer sur des tas de matériaux et de tuiles cassées qui jonchent le sol parmi les trous d’obus.

La popote est prête. Une soupe chaude, de la viande cuite et du riz au lard. C’est un festin royal pour nous. Le commandant donne l’exemple et nous mangeons tous d’excellent appétit. Un café nous réchauffe. Une cigarette fait faire la digestion. Nous pouvons repartir.

Je vais voir la compagnie afin qu’elle se rassemble. Elle se trouve disséminée dans un coin du village et les cuistots servent la popote.

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[1] Popote : Dans l’argot des combattants, désigne à la fois la cuisine roulante, et le fait de cuisiner. Par extension, la popote est la réunion des personnes qui mangent en commun.

24 septembre – Deuxième partie : L’Argonne

TomeIII

Couverture du troisième cahier intitulé Tome III

Deuxième partie – Chapitre I Servon–Melzicourt
(Voir topo fin du Tome III)

La nuit s’est passée à veiller et à communiquer des ordres. Vers le matin, on somnole un peu, mais au petit jour, nous partons tous et battons la semelle tellement il fait froid.

Gallica-caganLa cagna* que nous occupons a peut-être 10 mètres de longueur, le long du talus, sur 2 mètres 50 de largeur.Un peu de paille jonche le sol. Quatre couvertures sont l’héritage du 51e. Nous sommes là-dedans, le commandant au fond et vers la sortie, successivement, De Juniac, Gallois, Carpentier, l’agent mitrailleur René, les deux cyclistes, le clairon, Huvenois et moi près de l’entrée. Cela m’a valu une couverture que je partage avec Huvenois. Le maréchal des logis est resté à l’arrière, près du colonel, avec les éclaireurs montés.

Le commandant nous explique l’organisation car nous sommes ici sur la défensive pour quelques jours.

Deux compagnies en 1ère ligne, 5e et 8e, à gauche et à droite de la route (voir topo) ; deux compagnies en réserve, 7e et 6e, la première près de nous, la seconde un peu à l’arrière (voir topo [ci-dessous]).

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Plan (orienté vers le Nord) dessiné par Émile Lobbedey (en couverture du Tome III)

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Source : J.M.O. [1] du 147e régiment d’infanterie (26 N 695/10 – J.M.O. 1er août-15 octobre 1914) http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

Extrait de la carte d’État-major – Source : Géoportail

Relève* tous les trois ou quatre jours, la 5e par la 7e, la 8e par la 6e.

Quant à la nourriture, corvée de cuisiniers et hommes de corvée chaque soir avec le caporal d’ordonnance et le caporal fourrier, par compagnie, séparément. Les cuisiniers feront la popote* à Saint-Thomas et l’amèneront la nuit.

Le temps est beau. On se chauffe au soleil. La situation est calme, à part quelques coups de feu de temps en temps.

Dans la journée, nous recevons quelques obus qui éclatent très près et nous font réintégrer notre cagna rapidement. Celle-ci n’a aucune solidité et ne peut nous protéger que des éclats, mais se trouvant posée contre un talus élevé et à pic, il y a des chances pour que l’obus ne puisse nous atteindre.

Dans l’après-midi, le capitaine Rigault, de la 7e compagnie, vient chercher refuge près du commandant. Il n’a pas de Kasba [2]. Sa liaison de compagnie s’installe dans le petit abri voisin du nôtre.

Le soir, les cuisiniers s’en vont. Le clairon Gauthier, René, l’agent de liaison mitrailleur, et le cycliste Crespel partent pour faire notre popote. Le fourrier* Carpentier accepte de les accompagner chaque soir. Le commandant partagera simplement nos repas. C’est le plus capable et le plus charmant des chefs. Avec lui, c’est pour nous la tranquillité d’âme, car on sent qu’il ne se départit jamais du plus grand calme et on sent qu’il tient sa troupe en main et connaît son affaire à fond.

La troupe parle beaucoup aujourd’hui du jour de la libération de la classe 1911 manquée.


[1] J.M.O. : Journal des marches et opérations des corps de troupe

[2]Kasba (casbah, kasbah ou qasaba) : En Afrique du Nord, citadelle et palais d’un souverain, parties hautes et fortifiées d’une ville. Dans le langage populaire il indique une maison, ici, il est synonyme de cagna.