Archives mensuelles : août 2014

09 août

Avant-postes à Othe

Départ ce matin à 3 heures. Nous reprenons nos positions de la veille.

Le peloton de la Maisonneuve part en avant-poste à Othe, petit village situé à 6 km au nord de Marville.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Je suis désigné pour en opérer le ravitaillement que je dois faire chaque soir à la tombée de la nuit. Le mari de la maîtresse d’école où loge une partie de la compagnie, monsieur Raoul Gaillot, possède une petite auto qui est réquisitionnée par la gendarmerie et qu’il conduit. Il se charge d’amener avec moi le ravitaillement aux avant-postes.

Je rentre au village l’après-midi. Je porte le ravitaillement le soir. Une section se trouve en embuscade sur une route. Une demi-section en avant-poste en plein champ avec le sergent Rozoy ; une demi-section en observation sur une crête surplombant le village.

Au centre du village se trouve un pont gardé par quatre hommes et un caporal, le caporal Gillet de Vrigne-aux-Bois.

08 août

La mise en état de défense du village est terminée. Aujourd’hui personne ne reste au village. On prend son sac. Beaucoup croient qu’on ne reviendra plus. On dit adieu aux quelques habitants qui sont levés. Il est 4 heures.

Le régiment change de position, face au sud-est. Nous filons sur la route de Saint-Laurent. Nous sommes sur une hauteur. Sans doute les tranchées* sont-elles occupées par d’autres troupes. On entre dans des bois de sapins où l’on se dissimule en position d’attente.

Devant nous, les privilégiés, les agents de liaison [1] au colonel, disent que s’étend une grande plaine sillonnée de bois avec, à gauche, à 6 km, un village, Mangiennes.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

A 8 heures, deux sections de la 5e compagnie partent en expédition sous le commandement du lieutenant Pougin de la Maisonneuve.

A 3 km en avant de notre position se trouve une ferme, on dit le fermier de nationalité allemande et espion.

Le peloton s’en va et se dissimule dans les blés, observant durant deux heures. La ferme est peu à peu encerclée. L’officier entre dans la cour de la ferme avec quelques hommes et surprend le fermier et sa fille dans leur maison d’habitation. On fouille les meubles. Dans le grenier, on trouve des effets reconnus pour appartenir à des uhlans* et des armes, le tout enfoui dans de la paille. On ramène le fermier et sa fille.

Le régiment rentre le soir à Marville. On apprend que la population a voulu faire un mauvais parti aux prisonniers. Ceux-ci ont été expédiés à Montmédy.

 


[1] Agent de liaison : Militaire chargé de transmettre ordres et informations au sein de l’armée, en particulier lors d’une opération qui rend impossible l’usage du téléphone.

06 août

Ce soir à la rentrée, le renfort arrive. On reconnaît du monde. Poignées de main. Je vois le sous-lieutenant de réserve Stevenin que je connus aux manœuvres de l’année dernière ; Pêcheur, parent du colonel, nommé adjudant de bataillon de réserve au 2e bataillon.
Quelques réservistes sourient ; beaucoup ne peuvent cacher un air de mélancolie.
Les lettres n’arrivent pas depuis notre séjour ici.
On écrit chez soi en se demandant si cela parviendra.
Seuls les sedanais ont des nouvelles car une auto conduite par un particulier vient chaque jour de Sedan à Marville dans ce but.

Ce soir, à la rentrée, on rencontre des chasseurs à cheval rentrant de reconnaissance. L’un d’eux tient en laisse un cheval allemand dont le cavalier a été tué ; un autre brandit une lance d’uhlan [1]. Un brigadier raconte la frousse qui prend les cavaliers boches à leur vue. On rit. On se promet de magnifiques trophées.


[1] Uhlan : Cavalier allemand armé d’une lance.

060814Mounted-Uhlan

05 août

Aujourd’hui, dans la soirée, passage de dragons [1], le 24e.
dragons_francaisOn dit qu’ils viennent de Rennes. On les admire, échangeant avec eux des gestes qui en disent long.

On est fait à l’idée de la guerre. Chaque jour, même heure de départ, de ravitaillement, de rentrée. Soupe à 5 heures : chacun mange de bon appétit.

Il semble qu’on ne quittera pas le village de sitôt. Demain doit arriver le renfort du régiment formé par les classes de réserve de l’armée active avec leurs officiers. On installe une popote [2] de sous-officiers.

Chaque soir, je me retrouve dans la famille Royer qui me reçoit comme un ami, m’offre une tasse de café. Nous parlons de la guerre, des nouvelles qui circulent, etc… La famille se compose du père, de la mère, de deux jeunes filles et d’un fils de 18 ans. Je suis là avec le sergent vaguemestre [3], Prestat [4], leur cousin.

 


[1] Dragon : Soldat se déplaçant à cheval mais combattant, en principe, à pied (infanterie montée)

[2] Popote : Dans l’argot des combattants, désigne à la fois la cuisine roulante, et le fait de cuisiner. Par extension, la popote est la réunion des personnes qui mangent en commun.Gallica-Vaguemestre

[3] Vaguemestre : Militaire chargé de la distribution du courrier aux armées. Son arrivée est espérée et guettée par les combattants qui attendent les lettres et colis constituant leur lien avec l’arrière.

[4] Prestat : Plus d’informations sur le Blog du 147e RI : http://147ri.canalblog.com/archives/2015/12/23/33093572.html

04 août

Déclaration de guerre

Aujourd’hui mêmes travaux qu’hier. Tout le régiment continue la mise en état de défense des alentours du village. Devant nous, à 10 km, nous voyons le drapeau belge flotter sur un village. Le village est Torgny.
On dit qu’une quantité énorme d’artillerie [1] se trouve un peu derrière nous. On parle du 75 qu’on dit terrible.
canon75A la soupe, rassemblement de la compagnie sur l’emplacement du travail. Le capitaine, un peu ému, annonce que l’Allemagne nous a déclaré la guerre. Chacun fera son devoir et l’officier compte sur sa troupe.
On s’y attendait, on était convaincu que la guerre éclaterait ; pourtant chacun est un peu rêveur.
Dix minutes après, il n’y paraît plus, c’est l’enthousiasme le plus complet. On travaille d’arrache-pied. Le lieutenant Pougin de la Maisonneuve fait promettre à sa section* de ne pas le faire raser tant qu’on n’aura pas mis le pied en Allemagne et tant que l’Alsace-Lorraine n’aura pas été complétement libérée.
Le soir, je suis nommé caporal fourrier [2].


[1] Artillerie : ensemble des armes collectives ou lourdes servant à envoyer, à grande distance, sur l’ennemi ou sur ses positions et ses équipements, divers projectiles de gros calibre : obus, boulet, roquette, missile

[2] Fourrier : Officier ou sous-officier chargé de l’intendance : distribuer les vivres, pourvoir au logement des militaires.