Archives mensuelles : octobre 2014

17 octobre

Les jours se suivent et se ressemblent malgré une pluie ennuyeuse qui survient dans la matinée.

Notre gourbi*, heureusement, est bien étayé et la pluie n’est pas forte. Nous sommes à sec. Chaque soir, à la tombée de la nuit, la fusillade éclate. On ne s’en préoccupe plus. Cela dure une heure et puis ce ne sont plus que des coups de feu isolés. Parfois cependant, cela s’étend, se prolonge et la fusillade pour quelques instants reprend de nouveau. C’est à croire que de part et d’autre on est affolé.

Le capitaine me demande si on parle de relève*. Je n’entends encore rien.

Je descends le soir pour le ravitaillement. Tout se passe comme la première fois. L’adjudant du ravitaillement Cousinard me dit qu’il y aura probablement relève demain. Le sait-t-il ?

16 octobre

Nos braves cuisiniers nous apportent la pâtée au petit jour. Après vingt-quatre heures de jeûne, on mange avec appétit. Une innovation soulage les cuisiniers d’escouade*. Un mulet par compagnie les accompagne, transportant le pain et quelques vivres. Au PC du bataillon, tout est descendu et transporté aux tranchées.

Le ravitaillement en munitions se fait très bien aussi. La consommation des cartouches est effroyable.

Le capitaine, dans une de mes communications, me parle des bombes que les troupes continuent à recevoir. Nous n’avons rien pour répondre. Heureusement, les tranchées sont couvertes en grande partie. J’amène au PC Sénéchal une espèce de boîte éclatée, remplie de poudre brûlée et en cuivre reçue à plusieurs reprises.

Notre vie dans le gourbi* est tranquille. On fait du feu et nous pouvons manger chaud. La place n’est pas grande. À trois nous sommes très serrés mais la nuit nous avons d’autant plus chaud.

La vaguemestre* arrive chaque soir vers 4 heures et amène quelques lettres. Le service postal semble fonctionner normalement.

Les agents de liaison* en second se sont également confectionnés un gourbi et se déclarent heureux. Ils nous sont d’un grand soulagement car les notes à communiquer sont souvent nombreuses.

Nous apprenons dans la journée qu’une tranchée* a été perdue au 3e bataillon sous une formidable poussée boche. La 11e compagnie s’est défendue jusqu’à la mort, particulièrement la section du sous-lieutenant Ardant du Masjambost [1] qui est tué et dont le corps est resté aux mains ennemies.

Ce soir, la 7e compagnie relève la 8e qui est en ligne depuis notre arrivée ici. De Juniac, l’adjudant, veut faire comme nous et accompagne les cuisiniers au ravitaillement. C’est un charmant garçon !


[1] Ardant du Masjambost : voir ci-après la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (16 octobre au lieu de 15), semble correspondre

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15 octobre

Je trouve Huvenois couché. Il n’a pas trouvé sa compagnie et n’est pas reparti ! D’ailleurs, autant prendre la lune, dit-il. Cela ne le préoccupe pas plus que cela.

Notre journée est agrémentée d’obus. Ceux-ci tombent à 600 mètres derrière nous, près du colonel.

Les cuisiniers des compagnies ne sont pas partis. Les fourriers* sont donc à couvert.

La 7e compagnie est en réserve près du colonel. Le lieutenant Régnier loge avec le capitaine Sénéchal.
CP-tonneauPopoteChaque jour, des mulets de mitrailleuses amènent des petits tonneaux de thé [1. lire le commentaire ci-dessous] et les compagnies viennent prendre leur ration par section, dans les bidons des hommes.

Dans l’après-midi, une centaine de couvertures arrive pour chaque compagnie. On les étend, les compte. Par ballots, elles partent pour les combattants.
Ceux-ci seront heureux, car il fait un froid de loup.

14 octobre

Dans la journée, nous changeons de gourbi* et nous installons à côté, dans un gourbi plus grand, occupé par l’agent de liaison* en second de la 6e compagnie, caporal fourrier* Legueil. On passe sa journée à aménager l’intérieur et l’extérieur du gourbi, cela nous réchauffe. Nous coupons également des brindilles d’arbres très sèches afin de pouvoir faire du feu sans fumée le jour. De cette façon nous mangerons chaud.

Le temps se maintient sec. Ce qui commence à nous peser, c’est le manque de nécessaire de toilette. Je profite, l’après-midi, de ce que nous avons plusieurs bidons de thé pour me laver un peu dans un quart. Cela me rafraîchit un peu et me fait sourire. Quelle misère ! J’écris le fait chez moi.

Le soir, la 5e relève* la 7e. Nous suivons un boyau coupé par une tranchée en deux endroits. Il faudra faire attention la nuit. Puis il faut tourner à gauche et 200 mètres plus loin, on arrive. Jamais la nuit, je n’arriverai à communiquer. À mon retour, de toute façon, avec Garcia, mon second, nous tâchons de prendre des points de repères et de nous les rappeler.

Vers le soir, après l’installation de la compagnie, une longue fusillade crépite. Je vais rapidement dire de ne pas envoyer les cuisiniers [1]. Le capitaine me dit qu’il ne sait ce qu’il y a et rapidement, sous les balles, après m’être quasi égaré deux fois à l’aller et au retour, je rentre au gourbi. Vers 10 heures, nous recevons chacun l’ordre de nous rendre à nos compagnies respectives afin de dire que la fusillade calmée, on peut envoyer les ravitailleurs.

Il fait nuit noire : on n’y voit pas à deux pas. Je pars avec Garcia le tenant par la main. Malgré ma bonne volonté, je renonce à arriver. Je compte mes pas, mais tombe dans la première tranchée coupant le boyau. Pas de mal ! J’allume, risquant tout, des allumettes et trouve ainsi le chemin de gauche. Je rencontre la seconde tranchée et tombe de nouveau. Heureux suis-je malgré tout, car nous ne sommes pas encore égarés !

Tâtonnant, on continue. Et ne sachant plus où nous sommes, je prends le parti d’appeler.

Au bout d’un instant, un peu de lumière apparaît. Sauvés, nous y sommes ! Le capitaine maugrée* pour mes cris et comprend la difficulté qu’il peut y avoir à se guider en pleine nuit noire, dans un bois méconnu, à proximité de l’ennemi.

Il est presque minuit. J’ai mis plus d’une heure pour faire 300 mètres. Inutile de ce fait d’envoyer les cuisiniers. Le ravitaillement doit avoir quitté La Harazée et d’ailleurs, jamais il ne serait rentré pour le petit jour.

Plein de courage après une bonne pause, nous repartons Garcia et moi. La route est aussi longue et les tâtonnements aussi grands. Je n’évite pas une nouvelle chute, j’évite la seconde. Ma boite d’allumettes est épuisée mais nous arrivons.

Je suis fier de dire l’ordre transmis à mon chef. Celui-ci me félicite et déclare que les trois autres ont déclaré qu’il était impossible d’aller à leur compagnie. Il les a renvoyés. Quelle bonne nuit je passe !


[1] Parmi les cuisiniers du 147e régiment d’infanterie, Paul Leleu.
Originaire du Nord, il meurt le 15 octobre 1914 (fiche Mémoire des Hommes ci-dessous) au combat dans le Bois de la Gruerie (Marne).
En savoir plus : http://europeana1914-1918.eu/fr/contributions/10169#prettyPhoto

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13 octobre

Au petit jour, retour des cuisiniers. La vie commence à être réglée.

Nous entendons des obus qui sifflent dans la journée. Mais cela nous laisse indifférents, ils ne tombent pas juste.

Nous touchons vers midi deux bonbonnes de thé par compagnie. Les escouadesenvoient un homme en chercher. Nous nous servons. Cela, ce soir, nous permettra de faire un peu de chocolat. La nourriture n’est pas brillante en effet : chacun son morceau de viande large comme la main et un quart de riz, le tout gelé car il gèle. Nous préférons d’ailleurs ce temps à la pluie. Les terrains sont secs et plus praticables. Le soir, nous recommençons notre feu grâce à des brindilles de bois que nous coupons à la hache.

12 octobre

Au petit jour, nous partons armés de nos bagages. Il peut être 4 heures 30 et le brouillard est intense. Quelques balles sifflent toujours. Mais l’habitude est prise, on n’y prend garde.

Nous dépassons quelques cuisiniers d’escouade* qui se reposent. Ils sont chargés pis que des mulets.

Gallica-CuisiniersChacun porte au moins dix bidons, autour du corps une corde autour de laquelle sont enfilés sept ou huit pains, et aux deux mains, un bouteillon rempli l’un de viande, l’autre de légumes.

Enfin, le long de la route, c’est un défilé de ces gens qui filent vers la fraction.

Rigault147RINous arrivons au PC vers 6 heures 30 et aussitôt on distribue. Nous apprenons une heure après que le capitaine Rigault [1] est en train d’expirer d’une balle au ventre. Il l’a reçue en traversant une clairière. Le lieutenant Régnier prend le commandement de la compagnie.

Le capitaine Sénéchal décide que chaque soir, un fourrier* accompagnera les cuisiniers à La Harazée, touchera les vivres de la liaison et s’occupera du bon ordre chez les cuisiniers du bataillon.

Nous descendrons donc une nuit sur quatre. De plus, un agent de liaison* nous est adjoint : je vais donc demander Garcia au capitaine.

Je lui annonce que ce soir, la 6e compagnie le relève.

Vers 4 heures, j’accompagne le capitaine Claire près du mien afin qu’il puisse reconnaître les emplacements. La plus haute courtoisie règne. Je commence à espérer que bientôt l’éponge passera.

La relève* de la compagnie se passe bien. Nous touchons des correspondances militaires, cartes postales ; je vais les porter au sergent major Lannoy et trouve la compagnie au PC du colonel, installée dans de petits gourbis.

Le soir, dans notre modeste gourbi*, je fais du feu. Mon camarade Huvenois est parti à La Harazée. Il fait chaud et malgré la fusillade je m’endors tranquille.

 


[1] Rigault : Il s’agit de RIGAULT Marie Joseph, voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui (en dehors de la date de décès du 18 oct. au lieu de 12) semble correspondre.
Plus d’informations : http://147ri.canalblog.com/archives/2009/02/14/12470041.html

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11 octobre

Les nuits sont bonnes malgré le froid. Tous les soirs, à la tombée de la nuit, nous a dit le 120, c’est une fusillade incessante de part et d’autre. Les boches tirent et nous leur répondons. En effet, hier soir, c’était à se demander ce qui se passait.

Je vais communiquer au capitaine Aubrun par un petit boyau [1]. Je le trouve assez bien installé dans un gourbi*. Je lui demande de recommander aux hommes de tirer moins. C’est une consommation fantastique de munitions.

À mon retour, il peut être 7 heures, je trouve nos cuisiniers de retour avec Carpentier. Chacun va à la distribution qui est bientôt faite.

On passe sa journée dans le gourbi qu’on emménage. Nous installons un petit foyer qu’on allumera la nuit. Nous pouvons faire un peu de chocolat.

En face de notre petit gourbi, s’en trouve un grand où sont entassés des amis de la liaison. Chacun s’ingénie à faire du feu pour la nuit car il fait froid d’abord et manger chaud est le souhait d’un chacun.

Le capitaine Sénéchal est installé non loin. Souvent, le capitaine Rigault passe et repasse. Il est trop franc et chacun déclare que, s’il continue, il recevra un mauvais coup. Le temps se maintient beau et vers le soir, je descends avec les cuisiniers vers La Harazée comme fourrier* afin de toucher les vivres.

La route se passe bien. Nous arrivons vers 8 heures dans le petit village abandonné. C’est une grande affluence de cuisiniers et caporaux armés de bougies et lanternes. Nous nous installons dans une maison abandonnée. Les voitures de ravitaillement arrivent et je vais chercher nos rations avec René.

Gallica-VoitRavitailJe rencontre Jean Lotthé, sergent à la 11e compagnie, venu avec les cuisiniers. Il va bien et nous nous souhaitons bonne chance.

De là, nous faisons popote* ; nous mangeons chaud et bientôt, près du feu, dans la maison défoncée, nous nous endormons, roulés dans notre couverture.


[1] Boyau : Un boyau est une voie de communication entre deux lignes de tranchées. C’est par les boyaux que « montent » et « descendent » les unités lors des relèves , non sans problèmes, dus à l’étroitesse du boyau qui peut empêcher les files d’hommes de se croiser, et aux ramifications multiples qui font s’égarer les unités.