Archives mensuelles : novembre 2014

9 novembre

Vers 4 heures 30, nous reprenons la route à travers bois. Le temps est propice. Le secteur est calme et nous n’entendons pas de balles siffler. Par contre il fait un froid de loup ; le temps est à la gelée.

Je suis heureux d’être arrivé pour me chauffer au foyer préparé par Blanchet.

Il a gelé un peu la nuit, cela est préférable à la maudite pluie.

Vers 9 heures, des mulets de mitrailleuses apportent quelques bottes de paille. J’en porte une au capitaine Aubrun qui me remercie chaudement.

Son installation est presque terminée et son gourbi*, relié par un long boyau à la tranchée de première ligne, ressemble à un château fort. Un foyer brûle jour et nuit. Je m’attarde un peu afin de profiter de la chaleur.

Dans un coin, un lit de paille ; dans le coin opposé, un peu de paille étendue, c’est Lannoy qui couche là. À côté, un autre gourbi qui abrite la liaison. L’installation est complète.

Vers 4 heures, c’est le défilé des caporaux et de leurs cuisiniers. Ceux-ci se hâtent de filer, n’aimant pas beaucoup l’odeur des tranchées et désirant faire le parcours du bois vers la Harazée en y voyant clair. Huvenois accompagne Gauthier et à René, nos braves popotiers.

Je change de gourbi, l’abandonnant à deux officiers du 272e arrivés en renfort avec leurs compagnies en deuxième ligne. Ceux-ci me remercient et je me retire dans un gourbi vacant, moins beau peut-être, mais plus petit et plus chaud. On s’installe Blanchet et moi.

Le temps est toujours à la gelée. Heureux sommes-nous de pouvoir faire un peu de feu.

Vers le soir, je vais faire un brin de causette avec le capitaine. Celui-ci est content. Tout va bien. L’ennemi lance quelques bombes de temps en temps. On riposte énergiquement et on tire peu.

De temps en temps, un sous-officier arrive et vient se chauffer au feu 20 minutes.

Dans la nuit, un sergent de la 6e compagnie, de mes amis du pays, Vanholme, passe, blessé grièvement, sur un brancard.


Sergent Vanholme mars 1915

[1] sergent Vanholme : il s’agit de Abel VANHOLME, évoqué plus en détail ici :
http://147ri.canalblog.com/archives/2014/04/19/29694542.html .

Christophe Lagrange nous apprend, sur son site dédié aux hommes du 147e R. I. : http://147ri.canalblog.com/, qu’Abel VANHOLME avait été amputé de la main droite après que celle-ci fut arrachée par un pétard lors des combats du Bois de la Gruerie le 1er novembre 1914.


 

8 novembre

Nuit calme en effet. Non loin de nous se trouve un gourbi de munitions : un homme du génie y tient des pétards en grand nombre et préconise un nouveau système.

Sur l’ordre du capitaine Sénéchal, nous nous mettons à l’œuvre. On coupe des branches en forme de Y, on accole deux pétards en forme de nougats dont l’un possède une mèche et un détonateur.

Schéma extrait du cahier intitulé Tome V

Schéma extrait du cahier intitulé Tome V

Second schéma dans la marge, en haut de page, extrait du cahier intitulé Tome V

Schéma, extrait du Tome V

On les passe dans le V de l’Y et fixe le tout l’un à l’autre avec du fil de fer barbelé qu’on enroule autour.

Ainsi, la force de projection est plus grande grâce à la branche flexible et les pétards éclatent en projetant de tous côtés des débris de fer.

Nous passons toute notre journée à fabriquer ces instruments tandis que des corvées de compagnies viennent sans cesse en chercher.

VienneLeChateau-APD0000681b

Bombardiers dans les tranchées de Beaumanoir, tenant un “pétard” à la main – 1915.07.27

Je vais communiquer au capitaine. Celui-ci déclare que l’enfer de la dernière fois recommence de nouveau. Il y a trois blessés et il est 2 heures. Les tranchées* sont toujours rapprochées et plus d’un créneau est repéré par l’ennemi.

Vers le soir, les cuisiniers descendent au village. Je pars avec Gauthier et René le mitrailleur sur le désir du chef de bataillon.

Nous arrivons à La Harazée sans pluie et sans encombre. Nous touchons nos vivres que nous faisons cuire dans une maison abandonnée, occupée par quelques artilleurs, et bientôt, nous escaladons une grange afin d’y dormir à poings fermés.

7 novembre – Chapitre IV Bois de la Gruerie

Bois de la Gruerie, secteur Bagatelle, Pavillon – 4e séjour90423614img-2120-jpg

6-12nov14 GRUERIE 272e archives_SHDGR__GR_26_N_734__001__0059__T

Plan extrait du J.M.O.* du 272e régiment d’infanterie (26 N 734/1) – 6 au 12 novembre 1914

Le jour se lève. La pluie a cessé. Je vais chercher le compte rendu du matin. Nuit calme. Nous avons reculé depuis la dernière fois. Une ligne de tranchée* a été prise par l’ennemi.

Je fais venir Blanchet, un élève caporal, comme agent de liaison en second. Nous passons notre matinée à aménager et nettoyer le grand gourbi* dont nous sommes les heureux possesseurs avec Gallois.

Je communique dans la matinée. Le capitaine est en grands travaux d’agrandissement. Nous avons un peu de soleil, il en profite.

Le secteur est assez calme. Quelle différence avec le séjour précédent.

J’ai hérité, dans ma succession du 120e, d’un petit réchaud à braise. Nous en avons un sac. Aussi se chauffe-t-on autour du petit poêle.

Vers 10 heures, les cuisiniers arrivent : Gauthier et Crespel nous amènent la pitance. Bientôt, c’est un long défilé de cuisiniers des compagnies.

103-corvee-de-soupeIls sont couverts de boue et souvent le modeste repas a bien souffert des chutes des porteurs. Le soir arrive sans que j’entende parler de pertes. La nuit sera sans doute tranquille.

6 novembre

Relève au bois de la Gruerie 

La journée se passe à se préparer. Nous relevons ce soir le 120e.

Le vaguemestre* arrive régulièrement l’après-midi. Ce sont toujours des tas de lettres. C’est un travail fou qui ne fera qu’augmenter : une majeure partie des lettres sont à trier car beaucoup sont adressées à des camarades morts, blessés ou disparus. Nous recevons également des bulletins des armées qui sont intéressants ainsi que le petit journal du coin, très intéressant parce qu’il parle de choses connues, L’Écho de l’Argonne.EchoArgNov14Je vois dans l’après-midi le colonel Rémond qui commande le régiment. Il est cantonné à l’extrémité du village, direction la Harazée, dans une maison de belle apparence. Le père Rémond, comme on l’appelle, est un homme brave et un brave homme ; il commande toujours son bon régiment qu’il commandait à Sedan. Nous avons toute confiance en lui comme il a, je crois, confiance en sa troupe.

Il peut être 7 heures quand nous partons pour la première ligne. Nous suivons toujours le chemin connu, ayant à notre tête le capitaine Sénéchal à cheval.

A mi-route, non loin des batteries, un obus passe au-dessus de la tête et explose à 50 mètres dans un champ, à gauche de la route. Ce sont les batteries de 75 qui nous valent cela. Elles tournent sans discontinuer et cela nous donne froid dans le dos.

Voici La Harazée. Nous faisons une pause dans le village. Les chevaux quittent. En route de nouveau ? Contrordre, on s’arrête. Je m’abrite avec la liaison dans une grange ouverte à tous les vents mais dont le toit est encore solide. Nous attendons dans l’obscurité tandis qu’une pluie fine tombe sans arrêt.

Bientôt, nous apprenons que le ravitaillement est là. C’est sans doute la cause de l’arrêt. En tout cas, on s’approvisionne de pain et de riz. L’eau-de-vie est en faible quantité, les bidons manquent d’ailleurs ; nous la buvons.

Je communique que les cuisiniers doivent rester. Ils arriveront demain matin. Le capitaine Aubrun me demande comment ils nous trouveront. Mystère. L’ordre c’est l’ordre.

Il est bien 10 heures quand nous entrons sous bois. Le 120e a le temps de nous attendre.

Marche sous bois par la pluie, agréable s’il en est ; et l’obscurité complète ne fait qu’ajouter au charme d’une telle balade. Heureusement, les balles sifflent moins.

Après des péripéties sans nombre, nous défilons devant le colonel qui doit se trouver là car j’entends sa grosse voix qui tonne. C’est sans doute le temps qui est la cause de sa mauvaise humeur.

Quelle nuit noire ! On n’y voit pas à deux pas ! Il pluvine toujours !

Suit-on, ne suit-on pas, mystère ! Quelle heure est-il ? Depuis combien de temps marchons-nous ? Je désespère d’arriver à destination.

Enfin, nous arrivons à un emplacement où nous nous arrêtons. C’est ainsi qu’entendant des voix, je devine que c’est le PC du bataillon qui nous relevons.

Et quel temps, quel terrain ! Nous sommes des paquets de boue ! Pauvres bandes molletières* !

Il faut attendre car le bataillon ne suit pas. J’attends ma compagnie, philosophe et flegmatique. C’est elle en effet qui s’amène la première. Le capitaine est furieux : c’est toujours le mauvais temps qui en est la cause, je crois. Il est vrai qu’on serait mieux à Monaco.

Un agent de liaison* du 120e est avec moi. Nous partons donc, suivi de la compagnie, vers le séjour enchanteur de la tranchée.

Voici le PC de la compagnie. Je retiens l’agent de liaison car en rentrant, je n’ai nulle envie de me faufiler chez l’ennemi. Les consignes passées, la relève* s’opère. Gourbi* misérable au gré du capitaine. Il est vrai qu’il est médiocre. Il y pleut d’ailleurs. Petit, mal fini, il n’a rien d’un hôtel.

Je puis disposer et rentre avec mon fidèle mentor près du capitaine Sénéchal.

Je cherche un logement et tombe dans un vaste gourbi où se trouve entassée une section* du 120e.VienneLeChateau-APD0002019 Il pleut toujours. Je me mets à sec quoique l’abri laisse filtrer un peu d’eau. Assis sur mon sac, trempé jusqu’aux os et couvert de boue, j’attends, flegmatique toujours, le départ de ces Messieurs qui dorment, afin de me préparer un coin.

Il peut être 2 heures quand l’ordre de départ arrive. Je leur souhaite bonne chance à ces braves.

J’aime mieux encore être ici malgré la proximité de l’ennemi. Une marche dans le bois par cette nuit noire et ce temps diluvien n’a rien d’attrayant même avec l’expectative du repos. Merci, je sors d’en prendre.

5 novembre

Dans la matinée, j’apprends que les nominations vont paraître. Je vois mon ami, le sergent Huyghe, qui espérait le galon d’adjudant mais qui ne fut pas proposé. Le pauvre garçon, qui commande sa section en brave, est un peu attristé. Je le console, lui disant que ce sera pour la prochaine fois.

Les nominations paraissent. Vannier, sergent à la 8e compagnie, passe adjudant. Gallois est nommé sergent major. Il reste cependant à la liaison. Une petite discussion s’engage à ce sujet. Je ne m’y mêle car cela m’est absolument égal. À la compagnie, nous n’avons aucune nouvelle de la proposition Gibert.

Dans l’après-midi, le capitaine part à cheval saluer la dépouille de Lambert enseveli au cimetière de La Harazée.laHarazee-cimetiereCP-213_001

Vers 13 heures, nous partons de nouveau à notre position d’hier. Le sous-lieutenant Vals prend le commandement du bataillon. Les autres officiers sont partis reconnaître le secteur au bois de la Gruerie. C’est donc que nous relevons bientôt. Je crois que nous passons notre temps dans le bois, craignant un bombardement du hameau dans lequel nous sommes cantonnés.

Vers le soir, il commence à pleuvoir. C’est le sale temps en prévision de la relève*. Nous rentrons au cantonnement*.

4 novembre

C’est aujourd’hui la fête de mon père. J’y songe beaucoup et plus d’une fois je suis obligé de me secouer. Le reverrai-je jamais ? Reverra-t-on jamais son chez-soi ?

De bon matin, nous quittons le hameau pour nous rendre à l’ouest sur une hauteur. Nous rencontrons la ferme de la Seigneurie et nous enfonçons dans le bois situé à l’ouest. Nous sommes de cette façon à 600 mètres à gauche de la route Florent la Placardelle et à hauteur de la cote 211.

Cote211b-archives_SHDGR__GR_26_N_340__002__0197__TLes hommes peuvent se déséquiper, vaquer à la popote. Un ravin se trouve dans le bois, au fond duquel coule un large ruisseau. La troupe en profite pour laver son linge.VienneLeChateau-07bLe temps est beau. On s’installe en plein air. Je lis toute la journée, assis non loin de nos officiers qui font du camping.

Vers le soir, nous rentrons au cantonnement.

3 novembre

Le temps est radieux. Le soleil brille.

Le capitaine Sénéchal, depuis hier, a permuté avec le capitaine De Lannurien.

Je vais communiquer une avalanche de notes au capitaine Aubrun vers midi. État de propositions, de pertes, etc…

Je le trouve à table avec le lieutenant Vals et les officiers de la 8e compagnie. Leur popote est installée dans le logis du sous-lieutenant Vals. Ils mangent dans la chambre à coucher où se trouvent deux lits occupés par le sous-lieutenant Vals et le capitaine. Celui-ci a cédé la chambre, vaille que vaille, de l’arrivée au sous-lieutenant Monchy. Je constate avec satisfaction moi-même qu’ils sont satisfaits. Notre installation est terminée également. Un nouveau camarade s’adjoint à nous, le caporal fourrier* Jombart, imprimeur à Paris, qui est très aimable et très débrouillard. Il sera dorénavant agent de liaison* en second de la 8e compagnie avec Carpentier. Le pauvre Gallois est surchargé de besogne : le sergent major de la 7e est tué. Il assure donc les rôles de sergent major et fourrier. Huvenois prend pour la 6e son caporal fourrier également, qu’il s’adjoint en second. Nous commençons à être une bande. Pour moi, le capitaine déclare garder Jamesse, son caporal fourrier ; je n’aurai qu’à prendre un agent de liaison en second quand bon me semblera. Je décide d’attendre le prochain séjour de tranchées.

Tout le monde ici se plaint de la vermine qui grouille partout. Que faire là contre ? C’est le cas de dire avec le vieux « La Fontaine ».

Le capitaine Sénéchal vient nous voir dans l’après-midi. C’est pour nous un père plutôt qu’un chef et c’est ainsi que nous l’aimons.

Je reçois quelques états de la compagnie. Gibert, le sergent qui succédera deux jours au sous-lieutenant Lambert, en attendant le sous-lieutenant Vals, est proposé comme sous-lieutenant ( ?). L’état des pertes se monte à 9 tués et 29 blessés.

La 8e compagnie est la plus triste : elle est réduite à cent hommes.

Je vais voir mon cousin Louis. Nous sommes heureux de causer des notres, des nouvelles reçues qui arrivent à présent régulièrement. Il me dit avoir reçu une balle dans son képi qui lui a enlevé une mèche de cheveux. Vraiment, il l’a échappé belle.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Le village n’est qu’un grand hameau. Une centaine de maisons sont échelonnées des deux côtés de la route, sillonnées de granges plus ou moins démolies. Une cinquantaine d’habitants sont encore là.Placardelle-CPIl n’y a pas d’église. Nous n’avons qu’un aumônier pour la division et nous sommes privés de tout exercice religieux. Cela pourtant ne serait pas de luxe parfois au repos.

Parfois dans la journée, nous entendons des arrivées d’obus. Mon opinion est que si le village fut épargné jusqu’ici, il ne tardera pas à être repéré par l’ennemi.

Les hommes vont et viennent. Les officiers se promènent au milieu d’eux. C’est un va-et-vient continuel.VienneLeChateau-APD0000570