Archives par étiquette : Agent de liaison

[1] Agent de liaison : Militaire chargé de transmettre ordres et informations au sein de l’armée, en particulier lors d’une opération qui rend impossible l’usage du téléphone.

25 octobre

Retour à Florent

Je n’ai fermé l’œil de la nuit à cause de la vermine qui grouille dans la paille. C’est terrible ! Impossible de se débarrasser plus de deux jours de ces bestioles !

Au petit jour, je suis debout pour me nettoyer de nouveau à fond.

Les notes sont toujours nombreuses. On se demande qui peut « pondre » tout cela. Nous sommes à présent deux agents de liaison* par compagnie aux tranchées, nous demanderons, si cela continue à être, deux au repos.

Aujourd’hui dimanche, il y a grand-messe à 10 heures. Une grande affluence de troupes s’y rend. L’église est plus que comble. L’aumônier divisionnaire qui est chanoine chante la messe. À l’évangile, il prononce une magnifique allocution. On l’écoute religieusement. Je suis avec mon cousin Louis. C’est la premières fois depuis le début de la campagne qu’il m’est donné d’entendre réellement une messe chantée avec sermon. Je songe aux miens qui sont bien loin de moi et que peut-être je ne reverrai jamais. Je suis ému jusqu’au fond de l’âme et prie avec ferveur. Tous les officiers sont là. Le respect humain n’existe pas. À la sortie, chacun stationne. On cause par petits groupes. Le temps est maussade cependant. Puis la foule s’écoule et chacun va à son repas.

À la sortie de l’église, je vois Jean Lotthé qui est rentré guéri de ses blessures d’août. Il n’a aucune nouvelle de son frère Louis, notre ami commun, qu’il croit avoir été tué le 28 août à la bataille de Beaumont.

Gallica-messe2Je reçois, nouvelle joie, une lettre du 11 (?). On me rassure sur la chère maison et je suis pour le reste de la journée tout à la joie. Dans l’après-midi, nous touchons quantité des chemises, chandails, etc… J’hérite d’un gilet de chasse que je mets immédiatement et qui me plaît beaucoup. Petit à petit, ma garde-robe se remonte.

Le soir cependant, au coucher, je ne rentre plus à la grange. Je m’étends sur un vieux sac qui me sépare des pierres qui forment le sol de la remise. Un havresac pour ma tête, une serviette autour de la tête, deux couvertures. Naturellement le sommier n’est pas moelleux, mais au moins la vermine ne m’atteindra pas. Je suis seul dans la remise. De ce fait, du moins, personne ne me dérangera.

16 octobre

Nos braves cuisiniers nous apportent la pâtée au petit jour. Après vingt-quatre heures de jeûne, on mange avec appétit. Une innovation soulage les cuisiniers d’escouade*. Un mulet par compagnie les accompagne, transportant le pain et quelques vivres. Au PC du bataillon, tout est descendu et transporté aux tranchées.

Le ravitaillement en munitions se fait très bien aussi. La consommation des cartouches est effroyable.

Le capitaine, dans une de mes communications, me parle des bombes que les troupes continuent à recevoir. Nous n’avons rien pour répondre. Heureusement, les tranchées sont couvertes en grande partie. J’amène au PC Sénéchal une espèce de boîte éclatée, remplie de poudre brûlée et en cuivre reçue à plusieurs reprises.

Notre vie dans le gourbi* est tranquille. On fait du feu et nous pouvons manger chaud. La place n’est pas grande. À trois nous sommes très serrés mais la nuit nous avons d’autant plus chaud.

La vaguemestre* arrive chaque soir vers 4 heures et amène quelques lettres. Le service postal semble fonctionner normalement.

Les agents de liaison* en second se sont également confectionnés un gourbi et se déclarent heureux. Ils nous sont d’un grand soulagement car les notes à communiquer sont souvent nombreuses.

Nous apprenons dans la journée qu’une tranchée* a été perdue au 3e bataillon sous une formidable poussée boche. La 11e compagnie s’est défendue jusqu’à la mort, particulièrement la section du sous-lieutenant Ardant du Masjambost [1] qui est tué et dont le corps est resté aux mains ennemies.

Ce soir, la 7e compagnie relève la 8e qui est en ligne depuis notre arrivée ici. De Juniac, l’adjudant, veut faire comme nous et accompagne les cuisiniers au ravitaillement. C’est un charmant garçon !


[1] Ardant du Masjambost : voir ci-après la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (16 octobre au lieu de 15), semble correspondre

FicheMDHarchives_B240748R

12 octobre

Au petit jour, nous partons armés de nos bagages. Il peut être 4 heures 30 et le brouillard est intense. Quelques balles sifflent toujours. Mais l’habitude est prise, on n’y prend garde.

Nous dépassons quelques cuisiniers d’escouade* qui se reposent. Ils sont chargés pis que des mulets.

Gallica-CuisiniersChacun porte au moins dix bidons, autour du corps une corde autour de laquelle sont enfilés sept ou huit pains, et aux deux mains, un bouteillon rempli l’un de viande, l’autre de légumes.

Enfin, le long de la route, c’est un défilé de ces gens qui filent vers la fraction.

Rigault147RINous arrivons au PC vers 6 heures 30 et aussitôt on distribue. Nous apprenons une heure après que le capitaine Rigault [1] est en train d’expirer d’une balle au ventre. Il l’a reçue en traversant une clairière. Le lieutenant Régnier prend le commandement de la compagnie.

Le capitaine Sénéchal décide que chaque soir, un fourrier* accompagnera les cuisiniers à La Harazée, touchera les vivres de la liaison et s’occupera du bon ordre chez les cuisiniers du bataillon.

Nous descendrons donc une nuit sur quatre. De plus, un agent de liaison* nous est adjoint : je vais donc demander Garcia au capitaine.

Je lui annonce que ce soir, la 6e compagnie le relève.

Vers 4 heures, j’accompagne le capitaine Claire près du mien afin qu’il puisse reconnaître les emplacements. La plus haute courtoisie règne. Je commence à espérer que bientôt l’éponge passera.

La relève* de la compagnie se passe bien. Nous touchons des correspondances militaires, cartes postales ; je vais les porter au sergent major Lannoy et trouve la compagnie au PC du colonel, installée dans de petits gourbis.

Le soir, dans notre modeste gourbi*, je fais du feu. Mon camarade Huvenois est parti à La Harazée. Il fait chaud et malgré la fusillade je m’endors tranquille.

 


[1] Rigault : Il s’agit de RIGAULT Marie Joseph, voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui (en dehors de la date de décès du 18 oct. au lieu de 12) semble correspondre.
Plus d’informations : http://147ri.canalblog.com/archives/2009/02/14/12470041.html

FicheMDHarchives_M271041R

10 octobre – Chapitre II

Bois de la Gruerie, secteur Bagatelle, Pavillon

Un seau d’eau froide sur la tête ne m’aurait pas refroidi davantage. Que faire ? Chercher et tout en cherchant ne pas s’éloigner pour ne pas se perdre, car le bois est grand. Sacré Girardin !

J’attends que la relève du 120e soit terminée. Il peut être 2 heures du matin que déposant mon sac contre un arbre, je pars vers le PC du colonel, la lune daignant heureusement donner quelque lumière.

La fusillade crépite toujours. J’arrive à la clairière, les balles sifflent en grande quantité. Je suis obligé de me coucher et passe un mauvais quart d’heure.

M’orientant avec soin, je traverse la clairière et arrivant à l’extrémité opposée, j’entends des voix. Je crie « Qui vive ? ». C’était Girardin qui s’était perdu, avait échoué là et attendait le petit jour pour se remettre en marche.

Il peut être 4 heures du matin. Heureux, fier de l’avoir trouvé, je l’amène au PC du bataillon et de là vers la 5e compagnie, du moins son emplacement approximatif. Vraiment ma bonne étoile me sert, car j’arrive à destination. Le capitaine me regarde d’un bon œil, mais celui qu’il lança à son officier…

Le plus clair dans l’affaire, c’est que je rentre à 5 heures 30 du matin. Les camarades dorment ; les bons gourbis* sont pris ; il reste une misérable cahute. Pour y entrer, il faut se coucher à terre et ramper l’arrière en avant. Le gourbi tient lieu et place pour un occupant et tout au plus deux. Philosophe, je m’installe. Mes camarades sont égoïstes, un point c’est tout.

Au petit jour, mon camarade Huvenois, fourrier* de la 6e, qui vient de sa compagnie, se place avec moi. Nous dormons.

Vers midi, je communique une note au capitaine ; je prends un agent de liaison* auxiliaire, Garcia.

Trois compagnies sont en ligne. La 6e est en réserve au PC du colonel. Tous les deux jours, une compagnie sera relevée par une autre. Vers le soir, Gauthier, René l’agent de liaison mitrailleur et un fourrier partent à La Harazée afin de toucher nos vivres, de les préparer et de les rapporter au petit jour.

Gallica-CuisineChaque compagnie, également avec le caporal d’ordinaire*, envoie ses cuisiniers.

Le temps, sans être beau, est sec. C’est un avantage avec tous ces jours de pluie.

16 septembre – Chapitre VI Poursuite arrêtée

Arrivée dans le Bois de la Gruerie

Au très petit jour nous partons. Il a plu la nuit et les terrains sont détrempés.
Nous passons de bonne heure dans un petit pays que je reconnais, Vienne-le-Château.CP-VienneLeChateauLe jour est complétement levé, il peut être 6 heures.

Je reconnais la route et certains coins. On fait la pause : je me rappelle que c’est ici que nous vîmes défiler, lors de la retraite, les troupes qui devaient embarquer pour Paris.

Nous commençons par ici à rencontrer quantité de chevaux morts qui dégagent une odeur insupportable. Il y en a dans les fossés et en plein champs, tombés dans toutes les postures. Gallica-ChevauxTues2Il peut être 8 heures quand nous traversons Vienne-le-Château. Le temps est pluvieux.

Bientôt, nous entrons dans un grand bois où nous prenons des formations diverses.

Nous arrivons dans une clairière où nous faisons la pause. Il faut faire attention, il y a des endroits marécageux où l’on s’enfonce facilement.

Non loin de nous, des batteries de 75 tirent. Je vois près de l’une d’elles le colonel Rémond avec le capitaine adjoint Jeannelle.

On nous annonce bientôt qu’un obus ennemi est tombé non loin, tuant deux artilleurs et deux chevaux. L’ennemi est donc ici cette fois.Caisson et chevaux Artillerie explosés

Nous continuons en colonne par deux et après de multiples hésitations, nous passons à l’endroit où tomba l’obus ennemi. Nous voyons les deux chevaux étendus et un débris de caisson.

Il peut être 9 heures. Nous sommes guidés par un garde-chasse coiffé d’un képi de lieutenant d’infanterie. Il connaît le bois. Le capitaine Sénéchal n’a qu’une médiocre confiance en lui. Il craint une embuscade ou un traquenard. Il n’en est rien, car bientôt nous voici sur une large allée où nous voyons un général de brigade. Cette route doit conduire à Binarville.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Prenant mille précautions et par mille dédales, nous couchant souvent, nous dissimulant dans les taillis, nous arrivons à une espèce de petit carrefour. Il est bien midi. Voici plus de trois heures que nous marchons sous bois, dans l’eau et la boue, constamment courbés, devant nous frayer un passage parmi les ronces et les épines. (Voir topo [ci-dessous])

Le capitaine Sénéchal décide de s’arrêter à ce carrefour. Il retient près de lui un agent de liaison* pour les sections de mitrailleuses.

Les compagnies, par fractions précédées de patrouilles, continuent. Soudain, nous entendons des coups de feu et voyons bientôt près de nous deux cavaliers éclaireurs du régiment, dont l’un sans cheval : le cheval a été tué par un patrouilleur* ennemi au point A (Voir topo [ci-dessous]).Plan16-09-14Bientôt, une petite fusillade éclate non loin. On sait bientôt que c’est une patrouille de la 5e compagnie qui a essuyé des coups de feu et riposté. Malheureusement un brave soldat Oudet [1] de Vouzon a reçu une balle au ventre. Il expire bientôt sur le terrain (Point B du topo [ci-dessus])

Enfin, l’après-midi se passe dans des transes, des incertitudes. On se rend deux heures au point X [Voir topo ci-dessus] pour revenir vers le soir au carrefour.

Vers le soir la situation était telle que l’indique le topo. On apprenait également par la 7e compagnie que le 120e se trouvait à notre droite et était en liaison à la vue.

Je communique des ordres divers au capitaine que je trouve au point D. Il se plaint que la 6e compagnie met beaucoup de mauvaise volonté à se mettre en liaison avec lui. Il y a un trou de 100 mètres. L’ennemi se trouve à 200 mètres, dans des tranchées* en dehors du bois. S’il lui plait de s’infiltrer et de tourner la compagnie, il n’y a qu’à se replier ou c’est le coup de filet. Je rends compte.

Il a beaucoup plu ces jours. Le sol est détrempé. Ce n’est pas gai.

On s’assied contre des arbres. Il y a ici le capitaine Sénéchal, Jacques, maréchal des logis de liaison, Gallois, Carpentier, le mitrailleur, Huvenois et moi, fourriers*, ainsi que l’adjudant De Juniac.

Non loin de nous sont les chevaux de bataillon ainsi que les mulets des mitrailleuses, un peu plus bas vers I.Gallica-ArtillerieMuletVers 10 heures, nuit noire, alerte, on dit qu’on doit se replier. Nous commençons lentement à partir par le layon N ; nous avons devant nous l’adjudant de la 5e, blessé grièvement, que quatre hommes transportent et qui se plaint amèrement.

Il tombe un peu d’eau, mais cela cesse bientôt. L’alerte est fausse. On nous dit de faire demi-tour.

Après bien des pauses et des heurts, vu que c’est l’obscurité complète, nous arrivons quand même au carrefour.

On s’assied de nouveau, s’abritant contre les arbres, et on passe la nuit en éveil et l’esprit tendu. Vraiment la vie n’a rien d’attrayant en ce moment.

 


[1] Oudet de Vouzon : Il s’agit de OUDET Lucien, voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes.FicheMDHarchives_I510474R


5 septembre

Nous quittons dans la nuit. Il peut être 3 heures du matin.

Pour la première fois, des chariots sont prêts, conduits par des gens du pays réquisitionnés afin de transporter les havresacs [1]. Nous sommes des plus heureux de la décision prise.

La marche est rapide aussi. Chacun commence à être blasé. Fini les marches en colonnes par quatre, bien alignées. C’est un véritable troupeau de gens qui boitent, en regardant le sol et fixant d’un œil désespéré l’horizon. La vue d’un village donne parfois un faible espoir, une grand’halte, peut-être le cantonnement*. Mais on a déjà éprouvé tant de désillusions… Chacun est blasé.

Nous traversons rapidement un village. Il est aussi mort que les autres. À part quelques habitants, tout le monde est parti, fuyant devant l’ennemi. C’est ? .

Nous sommes sur la route de Vitry-le-François. Quelques kilomètres plus loin, nous traversons Givry-en-Argonne.

Bientôt nous rencontrons un grand convoi de chevaux, blessés ou malades, conduits par quelques chasseurs à cheval.chevauxBlessesNous faisons la pause. Un chasseur nous dit que les chevaux sont conduits en Bretagne pour être retapés et qu’ils proviennent des combats de Belgique. Ils ont été débarqués à Sainte-Menehould. Nous poursuivons notre route, avec le vif désir de croquer quelques fruits que nous voyons, mais toujours défense d’y toucher.

La route devient longue. Pas étonnant qu’on nous ait dispensés de nos havresacs. Nous filons donc vers Vitry-le-François.

Il est 8 heures, le soleil est brûlant. On fait la pause dans un petit pays qu’on appelle Saint-Mard. Je rentre dans une demeure où je prends ce qui reste de mieux : un bout de fromage et quelques pommes que les habitants, deux bons vieux, me donnent pour 0,50.

Nous continuons notre marche rapide. Au milieu du village, l’adjudant Simon, promu sous-lieutenant, rencontre le lieutenant Werner à cheval. Celui-ci le félicite de la main.

Soudain nous obliquons à gauche. On quitte donc la route de Vitry-le-François. Je vois Bar-le-Duc sur les bornes kilométriques.

C’est à croire que nous sommes fous de filer ainsi, car jamais nous n’avons été agrippés aux boches.

Vers 11 heures, nous arrivons à Nettancourt où nous faisons une petite pause. Nous obliquons un peu plus loin à gauche. Vers midi, nouvelle pause, nouveau village, Vroil. On continue encore, il fait chaud, il faut bien pourtant que nous fassions grand’halte. On dit que c’est au prochain village.

Il est 13 heures quand nous arrivons dans un petit village que les bornes avaient peu à peu rapproché de nous. C’est Bettancourt-la-Longue.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

On va y faire sans doute le cantonnement* car nous avons bien fait 25 km déjà. A droite du centre du bourg, se trouve une petite hauteur. On s’y installe. Ceux qui ont quelque chose à faire cuire peuvent faire du feu.

Beaucoup de fruits ; malgré la défense, on chipe quelques pommes. Le soleil est brûlant et, à l’ombre, on s’assoupit. Nous sommes fatigués car on a bien fait une vingtaine de kilomètres.

16795255Il peut être 3 heures de l’après-midi quand un grand rassemblement se forme. On amène un uhlan* qui vient d’être pris blessé. Nous l’apercevons à peine, il est emmené. Une demi-heure après, nous quittons à la hâte nos emplacements. Nous suivons une route, puis nous enfonçons dans les champs jusqu’à un verger qui se trouve sur une petite colline. Nous dépassons celle-ci et nous arrêtons sur le flanc opposé, divisés par petits paquets, aux aguets, avec sentinelle* double à la crête.

On se demande ce qu’on fait. Certains disent que la cavalerie ennemie est derrière nous, d’où le uhlan prisonnier.

Insouciants, beaucoup simulent un besoin pressant et reviennent les poches remplies de prunes.

Le temps est splendide. Il fait chaud. Nous nous replions peu après et arrivons près d’un village.

Ce village doit être Raucourt [-sur-Ornain]. On se cache dans les fossés longeant la route : nous sommes toujours avec le commandant Saget. Les compagnies occupent les lisières du village : la mienne, la 5e, se trouve dans plusieurs jardins, cachée derrière des haies.

Nous voyons soudain des pelotons de chasseurs à cheval aller et venir le long de la route.

Dragons

Reconnaissance de Cavalerie Cuirassier, arbres hachés par l’artillerie – (France ou Belgique) 1914

Il peut être 5 heures et demie quand une auto arrive au centre du village où nous nous tenons avec le commandant. Le général Lejaille*, commandant la brigade, en descend. Le colonel Rémond le reçoit ; ils parlent. Peu après, l’auto repart avec le général assis près du chauffeur et j’entends le brigadier dire en riant au colonel, « Vous voyez, je suis passé agent de liaison* ».

Le crépuscule commence. Nous partons en hâte. Cela devient inquiétant et très fatigant. Pourtant, tout a été calme et aucun coup de feu n’a été entendu.

Nous avons espoir que le cantonnement est tout près. Nous passons un pont sur une petite rivière, l’Ornain. On marche, au début, avec énergie.

Mais il est 8 heures et toujours rien. A peine une pause de quelques minutes et on repart. La nuit est noire, on ne voit aucune borne kilométrique, c’est désespérant.

Enfin vers 9 heures, des lumières. Le commandant que nous suivons est de beaucoup en avance sur la colonne du bataillon. Nous arrivons dans une agglomération extraordinaire. Nous rencontrons des troupes de toutes espèces. Ceci joint à une grande obscurité nous abrutit et nous enlève une partie de notre bon sens. Nous n’avons qu’une idée, ne pas nous perdre, et nous ne pensons plus au bataillon qui nous suit à plus d’un kilomètre.

Nous passons une voie ferrée et, à la faible lueur des lumières, nous voyons quelques cheminées d’usines.

Puis nous passons un assez grand pont au-dessus d’une rivière dont les eaux roulent avec fracas, « le Saulx », nous dit le commandant. La ville est Sermaize-les-Bains.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

Nous entrons par les rues obstruées d’hommes, de chevaux et de véhicules. Soudain, je vois un café ouvert. Je ne puis résister à la spontanéité de mon geste. Avant d’y songer, je suis au comptoir. C’est un débit de tabac où on donne à boire. Je commande à la hâte une grenadine. J’étais suant, soufflant, rendu ; j’avale à la hâte la boisson et ne songe même pas à acheter des cigarettes.

Je cours dans la direction suivie par la liaison. C’est une rue montante. Heureusement je tombe dans la compagnie de tête du bataillon, la 5e compagnie, la mienne, je ne suis pas perdu.

On continue à marcher ; tout le monde est à bout. Enfin la pause !

Je suis près du capitaine qui tombe presque de cheval.

Il sonne à la porte d’une riche maison, dans le genre d’un château, et j’entends le colloque.

Le capitaine, affamé, demande à la jeune dame qui ouvre, sans doute la jeune fille de la maison, quelque chose par charité. La dame lui apporte deux œufs crus et un crouton de pain, n’ayant que cela. Elle lui demande en retour ce qu’elle doit faire avec sa vieille mère.

Le capitaine lui répond de filer le soir même. C’est son merci.

Nous repartons bientôt. Il est 10 heures du soir au moins. Réellement, c’est à perdre la tête que marcher ainsi continuellement. Après 1 km de marche, nous nous arrêtons. Je retrouve la liaison et le commandant. Celui-ci nous dit qu’on bivouaque ici.

J’avise un fossé et m’y installe sans m’occuper du reste. Je suis à bout.

Une demi-heure après, je suis réveillé par Jacques, le maréchal des logis de liaison. On va plus loin.

Comme des automates on repart. Je m’accroche à l’étrier du cheval du maréchal des logis. Le commandant nous entraîne, nous disant de marcher vite afin de devancer la colonne et de pouvoir faire parfois la pause.

À chacun des kilomètres parcourus, nous nous arrêtons trois minutes. C’est pour se coucher aussitôt sur le bord de la route.

Celle-ci nous semble longue. Combien de parcours avons-nous fait aujourd’hui ? Je l’ignore.

Mais nous sommes partis vers 3 heures ce matin ; il est minuit ; nous sommes encore en route.

Il est près d’1 heure du matin quand nous arrivons dans un petit pays. On s’installe où on peut, ouvrant les granges, les écuries, les maisons, malgré les protestations des habitants qui dormaient paisiblement.

La liaison couche dans une petite grange pleine de paille. On ne s’occupe de rien, on s’étend équipés, on dort aussitôt.

Pour cette fois, chacun a fait son cantonnement* soi-même.


[1] Havresac : Sac se portant sur le dos, contenant l’équipement du fantassin en campagne ou en manœuvre.

havresac1. Havresac contenant les effets personnels du soldat (linge, produits d’hygiène, etc.).
2. Paire de brodequins de rechange, dotés d’une épaisse semelle cloutée.
3. Tente de toile que les soldats prennent souvent l’habitude d’utiliser comme un vêtement imperméable qu’ils disposent par-dessus leur capote.
4. Piquets et sardines.
5. Hache à main.
6. Couverture de campement.
7. Gamelle individuelle.
8. Seau en toile.

Source : http://crdp.ac-amiens.fr/pensa/1_2_case3.php


Pour en savoir plus sur l’équipement du fantassin : http://www.lesfrancaisaverdun-1916.fr/uniforme-equipement.htm

 

08 août

La mise en état de défense du village est terminée. Aujourd’hui personne ne reste au village. On prend son sac. Beaucoup croient qu’on ne reviendra plus. On dit adieu aux quelques habitants qui sont levés. Il est 4 heures.

Le régiment change de position, face au sud-est. Nous filons sur la route de Saint-Laurent. Nous sommes sur une hauteur. Sans doute les tranchées* sont-elles occupées par d’autres troupes. On entre dans des bois de sapins où l’on se dissimule en position d’attente.

Devant nous, les privilégiés, les agents de liaison [1] au colonel, disent que s’étend une grande plaine sillonnée de bois avec, à gauche, à 6 km, un village, Mangiennes.

Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

A 8 heures, deux sections de la 5e compagnie partent en expédition sous le commandement du lieutenant Pougin de la Maisonneuve.

A 3 km en avant de notre position se trouve une ferme, on dit le fermier de nationalité allemande et espion.

Le peloton s’en va et se dissimule dans les blés, observant durant deux heures. La ferme est peu à peu encerclée. L’officier entre dans la cour de la ferme avec quelques hommes et surprend le fermier et sa fille dans leur maison d’habitation. On fouille les meubles. Dans le grenier, on trouve des effets reconnus pour appartenir à des uhlans* et des armes, le tout enfoui dans de la paille. On ramène le fermier et sa fille.

Le régiment rentre le soir à Marville. On apprend que la population a voulu faire un mauvais parti aux prisonniers. Ceux-ci ont été expédiés à Montmédy.

 


[1] Agent de liaison : Militaire chargé de transmettre ordres et informations au sein de l’armée, en particulier lors d’une opération qui rend impossible l’usage du téléphone.