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13 janvier

De bonne heure nous sommes réveillés en sursaut. C’est le commandant Desplats qui pousse des cris de paon. Reconnaissant sa voix, je me blottis dans mon coin n’ayant garde de me montrer.

J’assiste par une ouverture de l’abri à une scène épique. L’adjudant Gallois sort ainsi que quelques-uns d’entre nous. Le chef de corps le traite de tous les noms, lui dit qu’il manque d’autorité, qu’il lui enlèvera ses galons et le remettra sergent. Tout cela, parce qu’il y a de la boue sur le chemin ainsi que quelques détritus : vieilles loques et morceaux de papier. Le capitaine Claire sort et dit à Gallois : « vous commanderez aux troupes de 2e ligne une corvée. Du coup le commandant attrape Claire à son tour et lui dit des choses désagréables. Quant à Gallois, lui-même doit se mettre à l’œuvre avec la liaison « et que ce soit fait quand je repasserai ! ». Ainsi nous quitte notre stratège qui file vers la 5e.

Gallois est consterné et ne sait où donner de la tête. Claire est furieux. Quant à nous, aussitôt dit aussitôt fait, armés de pelles nous enlevons la boue, ramassons des tas d’ordures etc.… Comme c’est intéressant. Vraiment notre chef de corps n’est pas commode.

Gauthier et Jombart s’amènent sur ces entrefaites et rient de bon cœur de nous voir. N’empêche que nous faisons la pause postant un de nous en sentinelle* pour jeter le cri d’alarme à l’arrivée de notre ami. Nous buvons la « gnole* » en attendant que le « jus » soit chaud.

Le cri d’alarme retentit. Chacun est aussitôt à l’œuvre et dignement notre Desplats passe heureux sans aucun doute de nous voir patauger dans la boue.

À ce métier-là on se fatigue. Aussi y-a-t-il des défaillances et bientôt les agents de liaison* en second seuls travaillent sous l’œil de Gallois qui n’ose rentrer dans son trou.

Enfin il n’y a plus personne, sinon une sentinelle qui doit nous avertir aussitôt que notre chef de corps est en vue. Chacun garde une pelle ou une pioche à portée de sa main. C’est tout juste si nous ne faisons pas un exercice d’alerte.

11 heures arrive. Une note nous est apportée. Le commandant Desplats veut avoir près de lui quatre agents de compagnie, simples soldats, à sa disposition comme liaison. L’ordre est aussitôt communiqué aux compagnies ; quant à moi je joue tête ou pile [1] : qui se rendra au PC du colonel, Mascart ou Pignol ? Le sort tombe sur Pignol qui file aussitôt. J’ai donc Mascart ici avec moi de ce fait, Pignol au colonel et Boulanger à la brigade.

Dans l’après-midi après le repas préparé par Gauthier je me rends au PC du capitaine Aubrun. Je vois mes amis en tranchées, Culine, Cattelot, Maxence Moreau. Quant à Gibert, il occupe le plus mauvais coin, un coin d’où il ne peut communiquer de jour car le boyau est pris d’enfilade. On annonce la mort de Girard [2], de Paris, un de nos camarades ex élève caporal. Son odyssée est triste. Sachant que les cuisiniers sont arrivés et attendant depuis plusieurs jours une lettre des siens, malgré la défense de Gibert, chef de section, il risque le boyau* dangereux et passe indemne. En rentrant à son poste, la lettre en main, tout heureux, il est touché d’une balle au front.

Je rends compte au capitaine de ma gestion, affectation de Pignol au colonel. Le capitaine voit avec satisfaction les jours diminuer : « encore 100 heures » me dit-il. Le secteur est assez calme, mais il faut veiller, malgré les bombes qui de temps en temps font trembler la terre et démolissent le parapet [3].

Le capitaine me raconte la visite du commandant Desplats qui arriva chez lui seul comme un ouragan. Puis il reçut la visite du sous-lieutenant Gout qui commande la 6e compagnie. Celle-ci se trouve face un ouvrage boche fortifié qu’on appelle « l’ouvrage Blanloeil ». Le commandant voudrait voir la 6e prendre l’ouvrage ; il a promis la Croix à l’officier. Ce dernier en rit, car ce serait une folie d’attaquer et envoyer à la mort sans aucun succès 250 hommes avec le risque au surplus de voir prendre par l’ennemi la tranchée de départ. Le capitaine a un sourire qui en dit long.

Je rentre à mon poste manquant de près une bombe qui m’abrutit durant 5 minutes. Culine gentil me donne un quart de « gnole » qui me remet. Non loin du poste que nous occupons je vois nos quatre agents de liaison près du colonel dont Pignol, occupé à piocher sur le layon. Je m’arrête et Pignol me regardant d’un air désolé dit que le commandant Desplats leur fait creuser une petite tranchée pour barrer la route. Enfin l’ordre c’est l’ordre. Je n’ai rien à y voir et rentre à mon gourbi* où Mascart prépare la popote* du soir.

Il peut être 5 heures. J’assiste au départ de Jombart et Gauthier. Vers 6 heures, je suis appelé par Gallois qui me donne une ronde à faire de 3 heures à 5 heures du matin. Cela me plaît.

Le soir est tombé. Chacun se retire dans sa Kania*. On mange. Aucune fusillade n’est entendue. Le calme continuera espérons-le. La soirée se passe à causer du long repos. Serait-ce vrai ?


[1] tête ou pile : signifie sans doute jouer à pile ou face, vient du latin

[2] Girard : il s’agit sans doute de Fernand Camille GIRARD dont la fiche Mémoire des Hommes ci-dessous semble correspondre (en dehors du jour de décès : le 15 au lieu du 13 janvier selon Émile Lobbedey).Fiche MDH-archives_F380258R

[3] Parapet : Rebord de la tranchée qui fait face à la tranchée adverse. Il constitue à la fois une protection (renforcée par des barbelés et des sacs de sable) et un obstacle à escalader lors des attaques ou des départs pour patrouilles et coups de main. Une des règles primordiales de la guerre des tranchées consiste à ne rien exposer à l’adversaire au-dessus du parapet.

 

12 janvier

Après une nuit excellente, je me trouve retapé, presque sec. Je tousse affreusement, c’est entendu, mais du café chaud aura raison d’un simple accident.

Gauthier et Jombart arrivent vers 9 heures suivis des cuisiniers des 5, 6 et 7e. Ceux de la 8e sont obligés de venir de nuit. Nous buvons aussitôt l’eau-de-vie pour nous donner des forces. On attise un peu le feu et bientôt un bon quart* de café suit la direction de l’eau-de-vie.

2mxr3h0Jombart m’apporte des lettres de chez moi, une lettre de ma mère, une lettre de ma famille, une autre du sergent Noël qui est soigné dans l’intérieur. Tout cela me distrait et me fait oublier un peu la dure vie que nous menons. Un colis m’est remis : il me vient du vicaire de la ville, Monsieur Danès [1], grand ami ; cigares et cigarettes me font un sensible plaisir. Je ferme immédiatement dédaignant du coup le vulgaire tabac du poilu* à 15 centimes le paquet.

Après le repas du matin, la fumée bleue de mon cigare me fait entrevoir les tours et le beffroi du pays.

Le temps s’est remis au beau. Le soleil brille de nouveau, soleil d’hiver bien pâle il est vrai qui ne chauffe guère, mais le foyer dont Pignol surveille l’intensité en vrai chauffeur y supplée amplement. Je suis à présent complètement sec, mais ma capote et mon pantalon sont littéralement couverts de boue. Qu’importe ! C’est le métier qui veut ça mais où est le temps où on avait un faux-col impeccable ! Quant au secteur, sans être bon, [il] est pourtant assez calme, du moins ici. Les boches cependant peuvent toujours nous réserver des surprises. Du moins, il ne cesse de nous envoyer des rafales d’obus !

Dans l’après-midi je vais à la campagne. À un endroit, l’adjudant Culine m’empêche de passer, car un coin de tranchées est évacué, les bombes pleuvent dru. Il me faut quand même passer et rapidement je traverse la zone dangereuse. Je trouve le capitaine au fond de son trou, et [il] se chauffe avec du charbon de bois. Je cause avec lui. Il sait qu’il doit être ici 7 jours. Le coin est mauvais. Aussi me dit-il « encore 5 jours ! » Mystérieusement il m’annonce que c’est bien décidé. Nous allons avoir un grand repos. Nous irons du côté de Sainte-Menehould pour un mois. Tout ceci m’enchante et je rentre traversant indemne de nouveau la zone des bombes que Culine lui-même revolver au poing surveille en cas où l’ennemi qui se trouve à 25 m tenterait un coup de main. J’annonce la bonne nouvelle de ce fameux repos à Gallois qui reste sceptique, tandis que mes 2 agents de liaison* du coup entonnent un vieux refrain populaire.

Le soir tombe. Au fond journée calme. Je vais causer un peu avec Sauvage et Menneval. Un peu plus loin c’est le gourbi* de Paradis et de Garnier : ceux-ci se plaignent de la difficulté à communiquer même la nuit avec la 8e compagnie.

Gallois m’appelle. Le système de rondes va recommencer. Quel ennui ! Enfin on verra bien. Du moins j’ai le plaisir de constater que je garde le statu quo cette nuit. Gallois par contre doit en faire une. Il me demande Pignol pour l’accompagner : j’accepte.

Il part donc, trichant d’une heure. Il est 8 heures du soir. Je lui conseille de voir les 5e et 7e et de laisser 6 et 8 à part.

Je fume attendant le retour de Pignol qui reparais en rigolant quoique le visage rempli de boue. On a du mal à distinguer les yeux, la bouche et le nez. Un fou rire me prend. Le malheureux garçon s’est aplati. Mais il a bon caractère et rit lui-même. Il se rend pour se débarbouiller à 25 m au ruisseau qui traverse le chemin. Je m’étends et m’endors en riant encore.


[1] Danès : abbé Danès, vicaire à Bergues comme en témoigne sa carte postale envoyée à Émile Lobbedey en avril 1915.

abbéDanès04-1915

9 janvier – Chapitre X

Chapitre X – Bois de la Gruerie : secteur Fontaine Madame
Séjour à la Harazée – voir topo tome I

Fauteuil voltaire

Enfin au petit jour la place est déblayée. Gauthier et moi, faisons l’inventaire de notre héritage : une pièce de 10 m de long sur 5 de large ; une commode ; une table ; 4 chaises, un voltaire*, un foyer où on pourra faire popote.

La liaison ne tarde pas à rappliquer chez nous et chacun s’installe comme il peut. Nous sommes littéralement les uns sur les autres. Gallois arrive à son tour et j’ai une nouvelle discussion avec lui, car je l’accuse de n’avoir pas fait son service.

Nous sommes là-dedans à 12 : Gallois, adjudant, Menneval, Sauvage, Jombart et moi, sergents fourriers, Paradis, Verleene, caporaux fourriers René, agent mitrailleur, Gauthier, clairon cuisinier, Pignol, Garnier et un homme de la 7e agents de liaison en second.

Enfin plus on est de fous, plus on rit, dit-on. C’est peut-être vrai car à notre misère de logement, on supplée par une grande gaieté.

Je garde cependant le fauteuil comme propriété personnelle, c’est ce qu’il y a de plus confortable.

Nous faisons popote*, jouons aux cartes l’après-midi, écrivons aux nôtres, recevons la visite du vaguemestre* et passons la journée assez péniblement.

Vers 5 heures nous assistons à un spectacle assez grandiose. Les voitures de ravitaillement arrivent sur la route de Vienne le château – la Harazée quand des sifflements d’obus se font entendre. Les obus éclatent en gerbes noires, ce sont des obus percutants*, à 25 m à droite et à gauche de la route avec un bruit terrifiant.

Les voitures au galop des chevaux passent, tandis que les obus tombent toujours. Sans doute l’ennemi grâce à un ballon observatoire ou un taube [1] sait-il quelque chose, de l’heure d’arrivée de nos voitures. En tout cas, celles-ci arrivent dans le village au triple galop.

02555 - Ballon d'observation allemand - Guerre mondiale 14-On se réfugie dans les caves croyant à un bombardement du village. Il n’en est rien.

Une heure après les distributions commencent et les hommes du ravitaillement me disent avoir passé une belle minute d’indicible émotion. Les obus boches ont d’ailleurs été lancés en pure perte, car tout est intact, hommes, chevaux et matériel.

Le soir tombe. Nous aidons Gauthier à faire la cuisine. Nous mangeons et comme on ne part pas aux bois, nous nous installons pour la nuit. Je décide d’occuper le fauteuil. C’est encore la meilleure place. Nous sommes littéralement les uns sur les autres. N’empêche qu’on dormira bien et dans le fauteuil les pieds sur une chaise, je ne serai pas le dernier.


[1] Taube : Avion autrichien monoplan à ailes et queue de pigeon employé dès 1912 à des fins militaires.

8 janvier

Relève au bois de la Gruerie

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

La journée se passe assez tranquille comme une vraie journée de repos. On s’attend bientôt au départ. Il n’a pas plu depuis quelques jours, nous espérons donc un temps clément.

On parle depuis quelque temps d’un long repos à l’arrière. C’est tellement beau qu’on n’ose espérer une belle chose. En tout cas, cela ne nous empêchera pas de revoir le bois, une fois encore.

Gallois reçoit dans la matinée la visite d’un adjudant du 120e de ses amis. L’air pédant du Monsieur ne me plaît que médiocrement. Je vais voir le capitaine Aubrun qui se plaint prêt de moi du manque de cadres : un adjudant et trois sergents, chef de section, Gibert, Diat qui a succédé à Vaucher et un 3e que je ne connais que médiocrement.

Je vois également Culine et Lannoy qui s’est levé tard et part rendre compte de sa gestion au capitaine. Culine et moi parlons popote* sous-officiers. Il me dit avoir coupé court à tout, car on n’arrivait pas à s’entendre. Certains voulaient à peine verser quelque monnaie qui ne suffisait pas à améliorer l’ordinaire d’une façon potable. C’était ensuite de petites jalousies, des discussions, mesquineries enfin qui sont l’opposé de la camaraderie. Ils ont donc formé un petit comité Lannoy, Gibert, Maxime Moreau, Cattelot et lui, et prennent leurs repas chez le père Thomas, toujours très heureux de les posséder. Je suis entièrement de son avis et tient parti pour leur popote, heureux après tout d’être en dehors de deux clans qui ne vont pas tarder à se former.

Les nominations paraissent : Bonnet, Badelet, Patelet sont nommés sergents.

Je rentre à la popote du bataillon pour déjeuner. Tout se passe comme d’habitude. Je reçois la visite de Lannoy qui m’apporte une lampe électrique et différentes petites choses que je lui avais commandées.

L’après-midi vers 3h00 une note annonce le départ à 5 heures pour la Harazée. Je me rends avec Gallois et Jombart rendre visite au capitaine Sénéchal et voir en même temps le curé de Florent afin de lui remettre l’argent pour les messes de Carpentier. On a décidé de garder 10 Fr. pour l’achat d’une couronne. Jombart devra la faire acheter par le personnel du ravitaillement. Il se charge de tout.

Nous trouvons le capitaine Sénéchal levé dans une pièce avec le brave curé. Je remets la monnaie devant lui au prêtre ; aussitôt il ajoute une pièce de 5 Fr.

Le curé et lui sont tout émus. Puis notre chef nous annonce qu’à son grand regret il reste à Florent à cette période de tranchées, ordre du docteur. Nous serons donc sous les ordres du capitaine Claire.

Vers 5 heures nous partons par l’itinéraire connu vers le bois de la Gruerie. En route le capitaine Claire nous fait dire à nos commandants de compagnie qu’on cantonne dans le village. Il peut être 7h30 quand nous y arrivons sans ennui après avoir traversé la cote 211 et la Placardelle désolée.

CP-LaHarazee2À la Harazée les cantonnements* sont indiqués rapidement et la 5e compagnie se place dans une vaste maison, de belle apparence et riche à l’intérieur. Les pièces sont dans un désordre effrayant : tout est cassé et abîmé. Je vois encore la section Culine se placer dans le salon dont les tapis sont couverts de paille et les meubles en miettes. Un lustre est encore en partie accroché au plafond ; la glace de la cheminée est cassée ; les vitres ont été remplacées par du carton. C’est une désolation. Je vais trouver le capitaine qui s’est réfugié dans un petit boudoir assez coquet et bien conservé : sans doute parce que les officiers seuls s’y sont succédé. Nous sommes ici en cantonnement d’alerte ; les hommes ne doivent pas s’éloigner et rester équipés.

Il fait nuit noire. Pourtant il y a tant de lumières qui se promènent, les cuistots font leur popote, qu’on y voit clair comme dans le jour. Je rejoins la liaison qui n’a aucun local. Réellement nous avons une andouille d’adjudant de bataillon.

Fauteuil voltaire

Je cherche et trouve non loin du PC du capitaine Claire une chambre occupée par des gens du 120e qui vont s’en aller. Je m’installe quand même attendant la sortie de ces gens. Un fauteuil voltaire* dernier vestige sans doute du mobilier me tend les bras. Je l’occupe aussitôt et n’en bouge plus de peur de perdre ma bonne place. Toute la nuit les cuisiniers font popote. Ils partent au petit jour. J’appelle Gauthier qui m’est reconnaissant de leur avoir procuré un coin, tandis que les autres toute la nuit se promènent en plein air, victimes de l’incurie Gallois. Celui-ci s’est installé avec les cuisiniers du capitaine Claire sans se préoccuper autrement de sa liaison.

6 janvier

Retour à Florent

 Extrait de la carte d’état-major – Source : Géoportail

La nuit s’est passée sans aucun incident. J’ai bien dormi sur la paille, à vermine à en juger par les démangeaisons qui me courent le long de la peau, calamité dont on ne se débarrassera jamais. C’est l’opinion de mes camarades de chambrée d’ailleurs à en juger par les contorsions de ceux-ci. Nous sommes ici dans un pucier, c’est plus que sur. Que faire ? On ne peut pas coucher dehors, bien que cela nous soit déjà arrivé souvent.

Nous nous levons appelés par le capitaine Claire. Il peut être 8 heures.

Pendant que nous recevons les instructions, Gauthier rallume rapidement le feu. Nous partons vers une heure de l’après-midi de nouveau à Florent avec les cuisiniers. Le bataillon nous suivra 2 heures. Nous communiquons les ordres à nos commandants de compagnie ; cuisiniers prêts à partir à 12h30, compagnie à 13h30. Jusque-là ne pas se montrer, rester dans les caves.

Nous passons donc la matinée à examiner notre logis l’école. Je trouve un tableau noir et de la craie et m’amuse à faire des caricatures, sans songer le moins du monde aux obus boches qui arrivent toujours normalement. Je trouve également des livres qui m’intéressent.

A midi je mange des vivres envoyés par les miens, car notre pause d’hier soir nous vaut un jeune forcé ! On se rattrape en faisant du café.

Plusieurs d’entre nous passent leur temps à chercher les parasites qui les couvrent. Chacun prend son plaisir où il le trouve.

Enfin à une heure nous partons. Parmi les cuisiniers, le loustic de Lavoine arrive coiffer d’un chapeau haut de forme, trouvé dans quelque habitation. Je ne puis m’empêcher de rire pas plus que le capitaine Claire envoyant un tel accoutrement. Il faut cependant faire enlever cela ; l’individu s’exécute immédiatement en prenant un air de circonstance. Cependant il place sa coiffure dans une marmite, disant qu’il la conserve pour des temps meilleurs. Sans doute le verrons-nous un jour arriver ainsi aux tranchées ?

Rien d’impossible et ce serait charmant.

Nous filons donc rapidement, n’ayant nullement envie de recevoir un obus ; les cuisiniers d’ailleurs ne le désirent pas non plus et c’est une marche triomphale au son de marmites et de plats de toutes les dimensions, marmites moins dangereuses certes que celle que nous craignons.

Nous arrivons au Claon ou nous faisons une bonne pause. Nous sommes hors de danger. Quelques cuistots cependant jugent sans doute que « la prudence est la mère de la sûreté » car ils continuent sur Florent à vive allure.

Ces gens-là ne désirent pas s’exposer inutilement ce qui dans le langage du poilu [1] se traduit par « ils ont la frousse ». Enfin la fameuse cote que nous avons descendue si gaillardement est remontée avec plus de difficultés, encore un effort et nous sommes à Florent. Il est 2 heures. Un beau rayon de soleil nous salue.

Vivement Gallois se rend à la mairie et revient tout joyeux. Le cantonnement est le même. C’est une satisfaction générale. 10 minutes après chacun avait repris ses emplacements. Gauthier faisait du feu et nous nous logions de nouveau dans la chambrette que la veille nous avions quittée avec tant de regrets.

Vers 4 heures le bataillon était placé et la rue Dupuytien avait repris son aspect accoutumé.TopoTIV

Plans FlorentQuelques notes arrivent, des nominations : Jombart est sergent fourrier*, Paradis caporal fourrier. Cela vaut quelque chose. Tous 2 partent acheter quelques provisions qui amélioreront l’ordinaire. Nous allons au ravitaillement. Une heure après une bonne odeur nous prédisait bonne chère tandis que Jombart nous amenait champagne et biscuits.

La soirée se passe donc agréablement ; on ne chante pas cependant ; la mort de Carpentier est trop récente et le bataillon fut trop à la peine ces derniers jours.

Au milieu du repas nous recevons la visite d’une femme de Florent, vieille fille sans aucun doute, qui dit soigner la maison qui appartient à un de ses frères qui est instituteur et qui est parti et qui lui a dit qu’elle devait soigner sa demeure qui avait de la valeur, qui sûrement serait abîmée et qui et qui et qui…

Nous rigolons comme des bossus, d’autant qu’elle trouve tout horriblement sale. Nous sommes entièrement de son avis mais lui faisons justement remarquer que c’était encore plus sale à notre arrivée. Enfin ce sont des plaintes sur la guerre, un appel énergique à la paix, des lamentations sans fin. Elle monte ensuite au grenier et revient peu après furieuse de ce que la porte de la chambre est ouverte. La porte a été enfoncée et nous accuse, ne voulant admettre que ce n’est pas nous.

De ce fait une sainte fureur s’empare de moi et je la prie de sortir immédiatement et d’aller se plaindre à l’autorité si ça lui plaît. Zut et flûte ! Sinon je la mettrai moi-même dehors malgré tous ses droits de propriété. La pauvre vieille fille tâche de protester avec indignation, mais nos voix couvrent la sienne, un formidable chahut est organisé ; elle n’a que le temps de se sauver au milieu de l’hilarité générale. Une sanction on n’y songe même pas. La maison est abandonnée. Nous y logeons. La gendarmerie fait des rondes. Elle n’a jamais constaté aucun dégât. Un point c’est tout.

La scène nous a mis en gaieté et nous nous couchons le sourire aux lèvres.


[1] Poilu  :  Désignation des soldats français dès le début de la guerre de 1914-1918. L’origine du terme est plus claire qu’on ne le croit souvent, puisqu’il est attesté dès le XIXe siècle, pour désigner un soldat endurant et courageux, dans l’argot militaire. L’usage massif du terme en 1914-1918 tient en outre à plusieurs éléments liés : la difficulté effective, à l’hiver 1914, de se raser, le caractère rudimentaire de la toilette au front ; l’obligation pour tout militaire jusqu’en 1917 de porter la moustache, la simplicité de la désignation qui permet aux journaux et à l’arrière de mettre en scène la familiarité et la proximité avec les combattants. Le terme peut être employé dans des sens très différents, d’un combattant à un autre, certains le rejetant tandis que d’autres se l’approprient. Il est fréquent que les officiers l’emploient dénotant ainsi la distance qui les en séparent. Plus généralement, le terme semble employé indifféremment, comme synonyme de soldat.

 

4 janvier

Après une bonne nuit, je passe toute la matinée à écrire aux miens les péripéties des combats du 31 décembre et la disparition de mon cousin. Je descends à la 8e compagnie et interroge deux rescapés, les seules, de la section de Brésillon. Ceux-ci me racontent qu’arrivé devant la tranchée allemande aux fils de fer barbelés, mon cousin avec sa demie section se coucha, tâchant d’avancer en rampant. Une bombe le blessa à la bouche et quand on se replia, vu l’impossibilité d’avancer, le sergent Lobbedey ne se releva pas. À son tour l’ennemi à cet endroit contre-attaqua et prit quelques éléments de tranchées. Le lendemain le 1er d’infanterie reprit les éléments perdus. Aucun cadavre, aucun blessé ne fut revu : l’ennemi avait tout enlevé la nuit. J’en suis donc à des conjectures au sujet de mon brave parent ?

Vers 10 heures, Gallois vient m’annoncer que le commandant Desplats rentre au 128e et que le colonel de Bonneville lui succède dans le commandement du régiment.

À table, vers midi, je propose qu’on se cotise pour faire dire quelques prières pour Jean Carpentier. À l’unanimité c’est accepté. Je fais la quête et ramasse une trentaine de francs. Je décide donc d’aller trouver le curé de Florent et de lui demander de dire ou faire dire 15 messes pour mon pauvre ami défunt.

L’après-midi se passe tranquillement. Je suis assez heureux, car l’adjudant Culine m’a procuré un bon soldat comme brosseur. Je n’ai donc à m’occuper de rien. De plus la chambre est un intérieur qui me plaît et où je passe la majeure partie de la journée. Je reçois la visite du vaguemestre* Renaudin qui m’apporte quelques lettres et deux colis l’un à mon adresse l’autre à celle de mon cousin. Le colis pour moi m’est envoyé par Madame Parenty [1], notre grande amie de famille : friandises en quantité qui font ma joie. Quant au colis de mon malheureux cousin, je la garde avertissant les miens. Je leur adresse d’ailleurs, également ma chanson sur la Gruerie : je suis trop attristé pour songer encore à la chanter.

Vers 3 heures un énorme détachement composé en partie de classe 1915 arrive dans notre rue ; il est reparti par compagnies. Les 7e et 8e reçoivent presque tout le contingent.

Florent-APD0000552Quelques nouveaux gradés sont là également, tous sous-officiers ; un seul adjudant, Vieux colonial médaillé et retraité : l’adjudant Renaud qui passe à la 6e compagnie. Ainsi le bataillon est un peu remis sur pied mais ce n’est pas fameux, loin de là.

Le soir tombe, je rentre dans notre habitation et nous ne tardons pas à nous mettre à table. Gauthier comme toujours fait une excellente popote*. Puis nous montons, Gallois, Jombart et moi, afin de nous étendre le plus vite possible.


[1] Parenty : famille originaire de Calais, ils sont de bons amis de la famille Lobbedey, comme le montre cette carte postale datée de 1908, ci-dessous.

FamillePARENTY-Calais

3 janvier

Repos à Florent

Fatigué je ne tarde pas à m’étendre, car les émotions et les deuils m’ont brisé. Je dors d’un sommeil agité et si peu. Vers 3 heures je suis debout et sort afin d’attendre le bataillon.

Après 2 longues heures d’attente, je reçois le capitaine Aubrun qui ne demande qu’à dormir. La compagnie est rapidement placée. Je m’accapare alors de Culine et Lannoy à qui je donne ma chambre du père Louis avec qui ils déclarent faire excellent ménage.

Je file rapidement vers Gallois et l’amène à la chambre Jombart qui est levé car il a entendu l’arrivée du bataillon. Une minute après côte à côte dans le lit Gallois et moi souriant de bonheur nous dormions à poings fermés. Jamais je n’ai si bien apprécié un lit.

Nous dormons sans nous éveiller jusque 2 heures. À 3, nous nous levons, ne doutant pas qu’on a déjà cherché après nous. En effet quantité de notes sont déjà là pour nous harceler. Il faut copier et communiquer. L’une d’elles déclare que le sous-lieutenant Vals  prendra le commandement de la 8e compagnie, le sous-lieutenant Carrière, ex sous-officier des sapeurs-pompiers de Paris, nouvellement arrivé, celui de la 7e. De ce fait chaque compagnie possède un seul officier, la 6e deux. C’est maigre et la nouvelle ne plaît pas au capitaine Aubrun que je trouve encore au lit : on lui enlève son lieutenant ; voilà donc 4 chefs de section dont 3 sergents.

À ma rentrée Jombart m’annonce que le lieutenant Carrière est déjà arrivé et qu’il prend notre chambre que quelqu’un lui a indiquée. Force nous est de nous incliner. Mais Jombart et débrouillard. En haut de notre logis il y a une espèce de chambre dans le plus grand désordre. Une corvée* est déjà commandée pour un nettoyage complet. On s’y installera. Il y a un lit et un sommier, une table, 2 chaises et un lavabo. Nous serons encore et malgré tout des princes.

Le soir ne tarde pas à arriver. Nous allions nous mettre à table quand Gallois est appelé par le commandant Desplats pour une question de renforcement des barreaux des échelles du cantonnement afin de prévenir les accidents. Voilà Gallois bien ennuyé et qui dès la première heure demain devra se mettre à l’œuvre afin de rassembler des corvées, trouver des bouts de bois, du fil de fer, faire faire le travail proprement. Quel repos !

Après le repos, rapidement je monte vers la chambre nettoyée l’après-midi. Elle est propre sans aucun luxe. Gallois et Jombart me suivent. Nous installons un peu le tout afin de nous faire un intérieur et roulé dans nos couvertures nous nous étendons sur le sommier Gallois et moi, tandis que Jombart couche sur le parquet. Il y aura un tour parmi nous 3 d’ailleurs.