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21 novembre

Relève des tranchées

Ce matin, allant chercher le compte rendu de la nuit, je vois au PC du capitaine un sergent, Peltier, chef de section des mitrailleuses. Il est blessé à la tête, mais reste : le capitaine le félicite, heureux, car deux de ses chefs de section manquent à l’appel. Gibert commande la section Huyghe. Je vois également le sergent Pellé qui se chauffe : il est gelé. Il est vrai que la température est basse. Les boches sont calmes, me dit-il. En effet, quand je communique, les balles sifflent moins.

Vers midi, nous apprenons que nous sommes relevés ce soir par le 120e.

courrier1Dans l’après-midi, le vaguemestre* m’apporte du courrier : lettre de René Parenty qui est au 8e territorial, cantonné à Crochte, village près de chez moi ; sa dame et sa fille sont à la maison et il a la joie de les voir ; il me parle de la vie de famille qu’il mène et cela me fait gros cœur malgré tout. Combien je donnerai pour une heure chez moi ! Je reçois également des nouvelles de ma mère, avec mandat toujours reçu avec joie et empoché avec hâte.

Aussitôt je réponds un simple mot avec mes vœux de sainte Catherine pour ma tante et de conservation pour le lieutenant Parenty.

Je communique l’ordre de relève au capitaine, ainsi que l’envoi de tous les cuisiniers à la Placardelle. C’est là que nous cantonnons de nouveau.

Vers 7 heures, je pars laissant Gallois avec le capitaine commandant le bataillon et les agents de liaison en second. Jombart, caporal fourrier de la 8e, Courquin et un sergent de la 7e m’accompagnent ainsi que Gauthier, notre cuisinier toujours précieux comme guide dans le bois et qui connaît la route à fond. Je suis chargé de faire le cantonnement*. Nous passons à la Harazée par un beau clair de lune. J’y prends au passage pas mal de cuisiniers qui m’attendent.

Il est 9 heures quand nous arrivons à la Placardelle, but de l’étape. Je vois l’officier du régiment qui, après quelques tergiversations, me donne le cantonnement de la dernière fois en me rognant toutefois quelques maisons, particulièrement notre maison de la liaison.

Le cantonnement est donc rapidement réparti entre les compagnies.

Pour la 5e compagnie, je loge la troupe comme la première fois. Le village est évacué depuis quelques jours. Quelques maisons sont démolies : le village a donc reçu des obus. C’est ce que j’avais prédit. Je trouve des hommes de fractions isolées un peu partout. Rien à craindre. Ils partiront rapidement avec un foudre de guerre comme le capitaine Aubrun.

Dans le logis de mes officiers, je trouve des hommes du 120e en train de veiller un capitaine défunt. Le corps sera enlevé la nuit. La maison est dans le plus grand désordre. J’abandonne donc le projet d’un logement ici.

Je vais donc voir la demeure ou plutôt le refuge lors de la première arrivée. Les habitants ont disparu. La maison est donc entièrement à moi avec ses quatre pièces. J’y installe les cuisiniers du capitaine. Ceux-ci nettoient à la lueur de bougies. Il y a deux fauteuils, deux lits avec sommier, une table en chêne, un buffet, quelques chaises. C’est tout ce qu’il faut pour faire une pièce convenable.

Je rencontre Jombart tandis que les cuisiniers touchent les vivres aux voitures qui sont arrivées. Il a trouvé une maison pour nous.Lieu:Saint Crepin aux Bois - Description:GUERRE 1914-15 - OFFEMO Elle se compose d’une seule vaste pièce avec lit au fond, foyer, commode, buffet, table et quelques chaises. Le tout doit être nettoyé mais Gauthier a déjà un balai en main et procède à l’installation.

Derrière, par une porte vitrée, on accède à une petite cuisine. C’est là que nous logerons nos agents de liaison en second.

Et voilà ! Le feu pétille. Il peut être minuit. Attendons l’arrivée du bataillon.


 

18 novembre

Nous rentrons au petit jour. À la Harazée, nous avons passé la nuit, allongés au coin du feu, dans une maison ouverte à tous vents. Je m’étais armé d’une couverture qui m’a bien servi.

Je retrouve mon gourbi* et mon charmant compagnon, le lieutenant Delporte. La nuit fut calme à part quelques bombes.

Dans la matinée, de Juniac vient nous dire bonjour. Le brave garçon est pris d’un gros rhume et vient se chauffer un peu. Il est pâle, les traits tirés et dit qu’il va médiocrement. Il n’a pas fini de le dire, qu’il a une faiblesse. On lui donne un peu d’eau-de-vie qui le fait revenir à lui. Je cours avertir le capitaine Sénéchal. Celui-ci donne ordre à notre ami d’aller se reposer le reste du séjour à la Harazée.

Forcé de s’incliner, le courageux adjudant ne part qu’à regret. Gallois, plus ancien et de grade plus élevé, le remplace.

L’après-midi, nous recevons des carrés grillagés de trois mètres sur trois, destinés à être placés devant les tranchées* afin d’empêcher les bombes d’arriver. Le capitaine Aubrun envoie des corvées* en chercher. Ce n’est pas très pratique à transporter dans les boyaux*. Enfin, ordre est donné de les placer cette nuit.

Le reste du temps libre se passe à aménager le gourbi* sous la direction du lieutenant Delporte qui veut en faire un hôtel confortable.

 


 

17 novembre – Chapitre V

Chapitre V – Bois de la Gruerie, secteur Bagatelle, Pavillon

Bois de la Gruerie – 5e séjour

Au petit jour, je vais chercher le compte rendu de la nuit. Je trouve le capitaine en plein sommeil. On le réveille. Rien à signaler.

Notre nuit fut excellente à tous deux. Au petit jour, le cuisinier s’amène avec Jombart, le caporal fourrier* de la 8e.

J’ai trouvé dans le gourbi* le réchaud de la fois précédente ainsi que du charbon de bois. Nous pouvons donc nous chauffer, boire et manger chaud.

Dans la matinée, du 272e vient se placer en deuxième ligne derrière nous. Un petit sous-lieutenant s’amène me demander une place. Je ne puis lui refuser. D’ailleurs il est l’amabilité même. Nous causons : il est de Roubaix et parle même le flamand. Aussitôt je lui adresse la parole en cette langue. Surprise ! L’amitié est faite.

Nous passons donc la journée à causer du Nord et c’est une grande distraction pour tous deux. Nous prenons nos repas ensemble. Vraiment ce séjour au bois promet d’être agréable.

Dans l’après-midi, des officiers du 272e viennent voir leur camarade. Nous faisons du chocolat.

À part de rares fusillades, l’ennemi est calme. Je vois le capitaine Aubrun qui est relativement tranquille.

Le soir, je pars à la Harazée pour le ravitaillement en compagnie de Gauthier et René. Le temps est beau et sec.

16 novembre

Relève au bois de la Gruerie

C’est ce soir que nous relevons. Nouvelle toujours pénible à apprendre. Ce maudit bois est donc notre lot, il nous en aura fait voir de drôles.

La journée se passe à se préparer, à s’approvisionner en conserves, bougies, tabac et allumettes.

On attend ensuite de communiquer l’heure du départ. Le temps se maintient beau. C’est déjà un grand avantage.

Dans l’après-midi, Carpentier et moi réussissons à avoir les bandes molletières* commandées. Joie nouvelle.

Nous partons vers 5 heures comme cela commence à devenir l’habitude. Le capitaine Sénéchal est à cheval en tête avec Jacques, le maréchal des logis de liaison.

Nous suivons en groupe. Derrière nous vient le bataillon. Le temps est sec. Cela nous change de la pluie. Il a gelé et il fait bon à marcher.

Nous faisons la pause au parc d’artillerie et repartons bientôt pour la Placardelle.

Il fait un beau clair de lune. Si les boches sont calmes, nous ferons une belle relève.

TomeVI

16 novembre (suite)

À la cote 211, les officiers descendent de cheval. Ceux-ci, conduits par les ordonnances et Jacques, vont cantonner dans une ferme à la Grange au Bois, village situé à 3 km de Florent et 4 de Sainte-Ménehould.

Extrait de la carte d’État-major – Source : Géoportail

À la Harazée, nous laissons les cuisiniers des officiers et partons aussitôt sans pause vers la première ligne. Le secteur est calme. Le terrain assez bon. Grâce à la clarté de la lune, on peut se guider un peu. Nous sommes contents.

Il peut être 8 heures quand nous arrivons au poste du colonel où nous faisons une halte d’une heure, tandis que le capitaine Sénéchal se trouve avec le colonel.

Il fait froid et nous sommes gelés.

Bientôt nous repartons, traversons la clairière dans le plus grand silence et tombons enfin au même secteur [?] que nous quittâmes quelques jours auparavant.

16-22nov14 272e archives_SHDGR__GR_26_N_734__001__0065__T

Plan extrait du J.M.O.* du 272e régiment d’infanterie (26 N 734/1) – 16 au 22 novembre 1914

Jamais relève ne se fait plus facilement. Chacun connaît son coin. J’accompagne le capitaine Aubrun qui retrouve son gourbi* avec satisfaction.

Peu après, je suis avec Blanchet occupé à m’installer dans le gourbi que j’ai cédé aux officiers du 272e. Ce gourbi est vide et transformé en mieux. Il y a une table et un banc et deux banquettes couvertes de paille en guise de couchettes. C’est une aubaine pour nous. Les autres de la liaison sont installés. a6_agents_de_liaisonÀ deux dans un tel gourbi, nous serons des rois. Nous allumons une cigarette avant de nous étendre. Rien à signaler tout est calme. C’est donc le sourire aux lèvres que nous nous endormons.

9 novembre

Vers 4 heures 30, nous reprenons la route à travers bois. Le temps est propice. Le secteur est calme et nous n’entendons pas de balles siffler. Par contre il fait un froid de loup ; le temps est à la gelée.

Je suis heureux d’être arrivé pour me chauffer au foyer préparé par Blanchet.

Il a gelé un peu la nuit, cela est préférable à la maudite pluie.

Vers 9 heures, des mulets de mitrailleuses apportent quelques bottes de paille. J’en porte une au capitaine Aubrun qui me remercie chaudement.

Son installation est presque terminée et son gourbi*, relié par un long boyau à la tranchée de première ligne, ressemble à un château fort. Un foyer brûle jour et nuit. Je m’attarde un peu afin de profiter de la chaleur.

Dans un coin, un lit de paille ; dans le coin opposé, un peu de paille étendue, c’est Lannoy qui couche là. À côté, un autre gourbi qui abrite la liaison. L’installation est complète.

Vers 4 heures, c’est le défilé des caporaux et de leurs cuisiniers. Ceux-ci se hâtent de filer, n’aimant pas beaucoup l’odeur des tranchées et désirant faire le parcours du bois vers la Harazée en y voyant clair. Huvenois accompagne Gauthier et à René, nos braves popotiers.

Je change de gourbi, l’abandonnant à deux officiers du 272e arrivés en renfort avec leurs compagnies en deuxième ligne. Ceux-ci me remercient et je me retire dans un gourbi vacant, moins beau peut-être, mais plus petit et plus chaud. On s’installe Blanchet et moi.

Le temps est toujours à la gelée. Heureux sommes-nous de pouvoir faire un peu de feu.

Vers le soir, je vais faire un brin de causette avec le capitaine. Celui-ci est content. Tout va bien. L’ennemi lance quelques bombes de temps en temps. On riposte énergiquement et on tire peu.

De temps en temps, un sous-officier arrive et vient se chauffer au feu 20 minutes.

Dans la nuit, un sergent de la 6e compagnie, de mes amis du pays, Vanholme, passe, blessé grièvement, sur un brancard.


Sergent Vanholme mars 1915

[1] sergent Vanholme : il s’agit de Abel VANHOLME, évoqué plus en détail ici :
http://147ri.canalblog.com/archives/2014/04/19/29694542.html .

Christophe Lagrange nous apprend, sur son site dédié aux hommes du 147e R. I. : http://147ri.canalblog.com/, qu’Abel VANHOLME avait été amputé de la main droite après que celle-ci fut arrachée par un pétard lors des combats du Bois de la Gruerie le 1er novembre 1914.


 

8 novembre

Nuit calme en effet. Non loin de nous se trouve un gourbi de munitions : un homme du génie y tient des pétards en grand nombre et préconise un nouveau système.

Sur l’ordre du capitaine Sénéchal, nous nous mettons à l’œuvre. On coupe des branches en forme de Y, on accole deux pétards en forme de nougats dont l’un possède une mèche et un détonateur.

Schéma extrait du cahier intitulé Tome V

Schéma extrait du cahier intitulé Tome V

Second schéma dans la marge, en haut de page, extrait du cahier intitulé Tome V

Schéma, extrait du Tome V

On les passe dans le V de l’Y et fixe le tout l’un à l’autre avec du fil de fer barbelé qu’on enroule autour.

Ainsi, la force de projection est plus grande grâce à la branche flexible et les pétards éclatent en projetant de tous côtés des débris de fer.

Nous passons toute notre journée à fabriquer ces instruments tandis que des corvées de compagnies viennent sans cesse en chercher.

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Bombardiers dans les tranchées de Beaumanoir, tenant un “pétard” à la main – 1915.07.27

Je vais communiquer au capitaine. Celui-ci déclare que l’enfer de la dernière fois recommence de nouveau. Il y a trois blessés et il est 2 heures. Les tranchées* sont toujours rapprochées et plus d’un créneau est repéré par l’ennemi.

Vers le soir, les cuisiniers descendent au village. Je pars avec Gauthier et René le mitrailleur sur le désir du chef de bataillon.

Nous arrivons à La Harazée sans pluie et sans encombre. Nous touchons nos vivres que nous faisons cuire dans une maison abandonnée, occupée par quelques artilleurs, et bientôt, nous escaladons une grange afin d’y dormir à poings fermés.

6 novembre

Relève au bois de la Gruerie 

La journée se passe à se préparer. Nous relevons ce soir le 120e.

Le vaguemestre* arrive régulièrement l’après-midi. Ce sont toujours des tas de lettres. C’est un travail fou qui ne fera qu’augmenter : une majeure partie des lettres sont à trier car beaucoup sont adressées à des camarades morts, blessés ou disparus. Nous recevons également des bulletins des armées qui sont intéressants ainsi que le petit journal du coin, très intéressant parce qu’il parle de choses connues, L’Écho de l’Argonne.EchoArgNov14Je vois dans l’après-midi le colonel Rémond qui commande le régiment. Il est cantonné à l’extrémité du village, direction la Harazée, dans une maison de belle apparence. Le père Rémond, comme on l’appelle, est un homme brave et un brave homme ; il commande toujours son bon régiment qu’il commandait à Sedan. Nous avons toute confiance en lui comme il a, je crois, confiance en sa troupe.

Il peut être 7 heures quand nous partons pour la première ligne. Nous suivons toujours le chemin connu, ayant à notre tête le capitaine Sénéchal à cheval.

A mi-route, non loin des batteries, un obus passe au-dessus de la tête et explose à 50 mètres dans un champ, à gauche de la route. Ce sont les batteries de 75 qui nous valent cela. Elles tournent sans discontinuer et cela nous donne froid dans le dos.

Voici La Harazée. Nous faisons une pause dans le village. Les chevaux quittent. En route de nouveau ? Contrordre, on s’arrête. Je m’abrite avec la liaison dans une grange ouverte à tous les vents mais dont le toit est encore solide. Nous attendons dans l’obscurité tandis qu’une pluie fine tombe sans arrêt.

Bientôt, nous apprenons que le ravitaillement est là. C’est sans doute la cause de l’arrêt. En tout cas, on s’approvisionne de pain et de riz. L’eau-de-vie est en faible quantité, les bidons manquent d’ailleurs ; nous la buvons.

Je communique que les cuisiniers doivent rester. Ils arriveront demain matin. Le capitaine Aubrun me demande comment ils nous trouveront. Mystère. L’ordre c’est l’ordre.

Il est bien 10 heures quand nous entrons sous bois. Le 120e a le temps de nous attendre.

Marche sous bois par la pluie, agréable s’il en est ; et l’obscurité complète ne fait qu’ajouter au charme d’une telle balade. Heureusement, les balles sifflent moins.

Après des péripéties sans nombre, nous défilons devant le colonel qui doit se trouver là car j’entends sa grosse voix qui tonne. C’est sans doute le temps qui est la cause de sa mauvaise humeur.

Quelle nuit noire ! On n’y voit pas à deux pas ! Il pluvine toujours !

Suit-on, ne suit-on pas, mystère ! Quelle heure est-il ? Depuis combien de temps marchons-nous ? Je désespère d’arriver à destination.

Enfin, nous arrivons à un emplacement où nous nous arrêtons. C’est ainsi qu’entendant des voix, je devine que c’est le PC du bataillon qui nous relevons.

Et quel temps, quel terrain ! Nous sommes des paquets de boue ! Pauvres bandes molletières* !

Il faut attendre car le bataillon ne suit pas. J’attends ma compagnie, philosophe et flegmatique. C’est elle en effet qui s’amène la première. Le capitaine est furieux : c’est toujours le mauvais temps qui en est la cause, je crois. Il est vrai qu’on serait mieux à Monaco.

Un agent de liaison* du 120e est avec moi. Nous partons donc, suivi de la compagnie, vers le séjour enchanteur de la tranchée.

Voici le PC de la compagnie. Je retiens l’agent de liaison car en rentrant, je n’ai nulle envie de me faufiler chez l’ennemi. Les consignes passées, la relève* s’opère. Gourbi* misérable au gré du capitaine. Il est vrai qu’il est médiocre. Il y pleut d’ailleurs. Petit, mal fini, il n’a rien d’un hôtel.

Je puis disposer et rentre avec mon fidèle mentor près du capitaine Sénéchal.

Je cherche un logement et tombe dans un vaste gourbi où se trouve entassée une section* du 120e.VienneLeChateau-APD0002019 Il pleut toujours. Je me mets à sec quoique l’abri laisse filtrer un peu d’eau. Assis sur mon sac, trempé jusqu’aux os et couvert de boue, j’attends, flegmatique toujours, le départ de ces Messieurs qui dorment, afin de me préparer un coin.

Il peut être 2 heures quand l’ordre de départ arrive. Je leur souhaite bonne chance à ces braves.

J’aime mieux encore être ici malgré la proximité de l’ennemi. Une marche dans le bois par cette nuit noire et ce temps diluvien n’a rien d’attrayant même avec l’expectative du repos. Merci, je sors d’en prendre.