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8 décembre – Chapitre VII

Bois de la Gruerie : secteur Fontaine aux charmes – 7e séjour

Au petit jour, vers 6 heures, alors que nous commençons à nous assoupir, un peu séchés, le capitaine Sénéchal nous appelle. Il nous indique un endroit situé à 100 m de là et nous dit de venir le rejoindre là. Notre emplacement est réservé aux 5e et 6e compagnies qui placeront une section en réserve.

Nous nous armons donc de nos sacs et nos fusils que nous trouvons après quelques recherches et allons à l’endroit désigné où nous ne trouvons rien, aucun trou, aucun abri.

Jamais, à part notre arrivée dans le bois lors de la poursuite, cela ne nous était arrivé.

Quant au capitaine Sénéchal, il délibère avec le capitaine Claire et bientôt leurs ordonnances*, aidés de quelques hommes, démolissent la toiture d’un abri existant et se mettent à l’œuvre pour l’agrandir et le consolider.

Quant à nous, gens de décision, nous nous partageons le travail, assez nombreux pour faire quelque chose de potable. Des pelles et des pioches se trouvent dans un petit abri à munitions, de quoi loger un homme. Cailliez, Crespel, Gauthier se mettent à défricher et piocher avec ardeur, cela les réchauffera. René et quelques autres coupent des gros rondins aux arbres avoisinants. Quant à moi, aidé de Carpentier, j’ai pour mission de couper quantité de fougères afin d’en faire une litière au fond du gourbi* et d’en faire un toit au-dessus des rondins, afin de pouvoir recouvrir le tout de terre sans danger que celle-ci passe à travers les rondins pour retomber dans l’abri.

Ainsi dit, ainsi fait. Il ne pleut plus, grande chance. Tout le monde travaille d’arrache-pied, cela nous fait oublier les douches de la veille.

Nos agents de liaison* nous imitent et se construisent également un petit gourbi à côté du nôtre.

Au début, nous ne sommes pas trop rassurés car nous craignons un peu les marmites*. Bientôt, n’entendant aucune balle siffler et aucune explosion aux alentours, nous sommes quasi rassurés : secteur calme.

À midi, nous cassons la croûte, admirant notre travail. Nous sommes d’avis de faire quelque chose de très solide, de spacieux et de confortable. Le trou est presque terminé : il peut avoir 10 m sur 3 et 1 m 20 de profondeur. Une trentaine de gros rondins sont à pied d’œuvre et les fougères s’amoncellent.

Pourvu qu’il ne pleuve pas ! Nous nous remettons rapidement au travail et pouvons bientôt commencer le montage du toit. Grave affaire car il ne faut pas qu’il pleuve à l’intérieur, que la terre tombe dans le gourbi et que trop de terre fasse effondrer le tout.

f2.highresUn énorme foyer est également installé.

Quand le soir tombe, le travail de couverture est terminé. Nous laissons la porte au lendemain, une sorte de tente la remplacera pour ce soir.

On allume du feu tandis que Gauthier et René, suivis de Jombart, partent à La Harazée pour opérer notre ravitaillement.

Dans la journée, j’ai procuré à mon brave Pignol le poste de gardien des munitions. De ce fait il hérite du gourbi.

Quant à la 5e compagnie elle a ses sections installées dans les gourbis à 100 m devant nous avec des petits postes en avant.

Le capitaine a un gourbi qu’il partage avec le lieutenant Péquin qui commande la 7e qui est en liaison avec la 5e.

La 6e compagnie est dans des gourbis un peu en arrière, non loin de nous, en réserve et la 8e, ayant à sa tête le lieutenant Régnier, se trouve à droite de la 6e, en réserve également. L’ennemi est à 800 m sur la crête, en face de la nôtre.

Fne-aux-charmesNous sommes donc quasi installés. Il restera à compléter l’œuvre demain. Heureux, côte à côte, nous nous étendons voulant rattraper la nuit blanche de la veille.

 

3 décembre

Relève pour la cote 211

Allant voir le capitaine, je rentre par la route de La Harazée au Four de Paris. Sur la route, adossées contre le talus, je vois quelques Kanias[ou cagna]. Ce sont les cuistots de la compagnie qui font popote*. Je reconnais en particulier Lavoine qui m’offre un quart* de « jus ».

O désespoir ! Durant la nuit, des apaches certes que nous envoyons à tous les diables, ont enlevé le carreau, volet noir de notre chambre à coucher. Du coup, le soir à la lumière nous serons vus dans notre intérieur. Quel dommage de ne pouvoir pincer les coupables.

Nous apprenons bientôt par le capitaine Sénéchal que nous quittons ce soir. On ne sait encore si c’est pour aller au repos ou en ligne. Nous sommes tous persuadés que c’est pour aller se cogner. Courquin rentre bientôt et nous raconte ses misères dans la pluie, sous un gourbi* minable et me traite de veinard.

Quand surprise ! dans l’après-midi, des troupes de chasseurs viennent prendre nos emplacements et nous partons à la cote 211 prendre position nous-mêmes derrière la première ligne du Four de Paris.

Heureux sommes-nous ! La pluie commence à tomber, on n’y prête pas attention.

a2_avancee_dans_les_sous_bois_boueuxNous arrivons bientôt à la Placardelle, mouillés par la pluie persistante. Pas de pause, on continue directement par un chemin boueux où on enfonce jusqu’à mi-jambe.

Point de direction : la Seigneurie. Quelle route ! Je manque de m’enliser et après de multiples peines, réussis à monter le talus de la route afin de continuer à travers champs. Je suis le capitaine Sénéchal qui peste contre le mauvais, tandis que, à 100 m de nous, dans un désordre remarquable, suit la 5e compagnie, première relevée du bataillon.

Nous arrivons enfin aux portes de la Seigneurie. Ce n’est pas notre cantonnement* ; il est occupé par des batteries d’artillerie. Le capitaine Sénéchal, après avoir pesté de nouveau et s’être chamaillé un peu, se voit obligé d’abandonner l’espoir de s’abriter à la ferme.

Pendant ce temps les compagnies s’amènent par paquets et se faufilent dans le bois aux positions à occuper, que nous connaissons pour y avoir déjà séjourné.

La pluie a cessé. Nous suivons notre chef dans la brume du soir vers la lisière du bois. C’est une nouvelle chevauchée dans la boue. Nous sommes tellement malheureux qu’on ne peut s’empêcher d’en rire.

Nous arrivons à la lisière. Un petit pavillon de chasse s’y trouve. Le capitaine s’y installe, bientôt rejoint par le commandant de compagnie Aubrun, Claire, Régnier et Péquin.

Pendant ce temps, un * rempli de paille et bien fait s’offre à ma vue. Nous nous y installons à quelques-uns pendant que Gauthier, suivi de quelques autres, trouve plus loin un abri qu’il préfère aux nôtres.CP-Gourbi

On annonce que le ravitaillement se trouve cote 211. Les cuistots, commandés par les caporaux d’ordinaire, s’y rendent donc. Pour nous, heureux suis-je que ce n’est pas mon tour. Menneval s’appuie la corvée*. Il rentre à 9 heures, couvert de boue, s’étend aplati avec Gauthier, plusieurs fois au grand détriment des vivres.

Le sommeil ne tarde pas à nous gagner. Nous avons quand même la force de faire une partie de cartes avant de nous coucher.

 

2 novembre

C’est aujourd’hui le jour des Morts. C’était hier la Toussaint. Il n’y paraît pas beaucoup par ici.

Les voitures de ravitaillement sont stationnées dans la rue. On attend le régiment.

Il peut être 2 heures du matin quand il s’amène, notre beau bataillon, désemparé, vanné et démoli.

Je vois le sous-lieutenant Vals qui stationne avec sa troupe. Peu après, c’est le capitaine à cheval.

On place la compagnie dans les granges et différentes maisons abandonnées, tant bien que mal. J’avertis le capitaine que des coins sont occupés par des fractions isolées qui n’ont aucune discipline, aucune politesse, aucun droit et opposent la force d’inertie.

Ce n’est pas long. Une descente de cheval rapide, une entrée qui ressemble à un cyclone ; en 10 secondes, la place est déblayée. Les dormeurs se trouvent dehors, ayant chacun reçu coups de pied et coups de poing en guise de réveil, face à un homme hors de lui qui leur demande s’ils en ont assez. C’est ma revanche et je suis pris d’un fou rire.

J’ai trouvé pour mes officiers un coin de maison dont une partie est habitée par un homme hirsute et sa femme d’une amabilité d’orang-outan. Encore ce coin m’est-il disputé par mon ami Carpentier qui n’a rien trouvé et déclare que c’est mitoyen. Enfin, ces messieurs s’installent dans une pièce aux carreaux cassés, dont les trous sont bouchés par du carton. Une table, un fauteuil, trois chaises. Cela suffit. Un malheureux lit se trouve au fond de la pièce sans draps ni couvertures ; sommier et matelas font pitié. Le cuisinier Chochois et son auxiliaire Chopin sont dans une pièce à côté qu’ils ont dénommée du nom pompeux de cuisine, mais qui a tout d’une écurie.

103-cuisine

Extrait de : http://www.premiere-guerre-mondiale-1914-1918.com/cuisine-lavage.html

Je rejoins les cuisiniers qui s’ingénient à faire du feu avec du bois mouillé et soufflent sur les cendres à pleins poumons.

Je m’installe près du feu, grelottant, afin de me sécher et d’attendre le petit jour. Il faut absolument que je trouve autre chose. Pour cela, il faut attendre que les habitants soient levés.

Je somnole, fatigué, pendant qu’à côté j’entends les éclats de voix des officiers de 5e et 8e ; ces derniers n’ont rien comme logis.

Au petit jour, je continue ma randonnée. Je trouve une arrière-cuisine abandonnée avec un lit au fond. Il faudrait néanmoins un bon coup de balai et un nettoyage en règle. Je destinais cela au lieutenant Vals. Il n’a pas vu cela, il se dit malade et indigné que j’aie pu songer à lui procurer cela.

Je cherche ailleurs et rencontre un homme aimable qui fait fonction de maire et me donne une maison abandonnée, de deux pièces assez potables. Heureux suis-je quand j’apprends que ce coin appartient au 1er bataillon.

Je tourne alors mes vues vers le pâté de maisons qui se trouve en dehors du village, sur la route de Florent. Je suis désespéré.

Enfin, je tombe dans une maison proprette, habitée par un ouvrier et sa fille. Aimables, ces gens qui n’ont pas ouvert la nuit, acceptent de donner une chambre à deux lits. Je suis sauvé.

Je file alors rejoindre la liaison et trouve mes amis dans la rue, occupés à visiter, revisiter et contre visiter des demeures déjà vues cent fois. Il n’y a rien, rien de potable.

Je visite notre hôtel. Dans la première pièce, ignoble, Gauthier met un peu d’ordre et allume du feu. Dans la seconde, à l’arrière, je retrouve mon sac qui gît au milieu du désordre répugnant de la salle. Je monte au premier et rencontre deux chambres où le désordre le plus complet règne également.

Une idée me prend. J’appelle les fourriers*. Nous nous mettons à l’œuvre. On mettra de l’ordre et fera un nettoyage complet des deux pièces. Dans l’une, nous placerons les lieutenants Péquin et Monchy, dans l’autre, nous nous installerons, ce sera notre chambre à coucher.

Il est plus de midi quand le résultat est obtenu. Le lieutenant Péquin amène le lieutenant Régnier. Monchy fut invité par Vals, le capitaine Aubrun désirant rester seul et garder la pièce de la veille au soir. Le confort de la chambre est mesquin : une chaise, deux lits n’ayant que le sommier, une glace, un point c’est tout. Ces messieurs sont heureux quand même car ils n’avaient rien.

Pour nous, la seconde pièce possède un lit et une table. Le plancher nous suffit pour reposer ; il vaut bien le fond d’une tranchée. Nous nous installons et malgré tout, nous sommes heureux.

L’après-midi se passe à se nettoyer. Au moins cette fois, je ne suis pas ennuyé au point de vue du linge : la voiture de compagnie est là, je vais la voir et trouve mon ballot.

Vers le soir, enfin, l’installation est terminée. Chacun y a mis du sien, le bas, comme le haut, sans être propre, n’est plus dans l’état répugnant où nous l’avons trouvé. Nous mangeons de bon appétit et nous couchons, du moins c’est une façon de parler, nous étendons de bonne heure.

31 octobre

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Plan extrait du  J.M.O.* du 147e régiment d’infanterie (26 N 695/11) – 1er novembre 1914

La nuit est toujours mouvementée. On ne ferme pas l’œil car la fusillade crépite sans cesse et les tranchées sont si rapprochées qu’on craint toujours un coup de main.

Dans la matinée, on amène un homme qui a perdu la raison. On l’emmène à l’arrière, mais cela donne une triste impression.

Ensuite, on arrête un autre soldat qui fuit vers l’arrière sans fusil ni équipement. Le commandant le menace de son revolver et le fait ramener en première ligne à la 6e, sa compagnie, par le fourrier* Huvenois.

La matinée est aussi mouvementée que la nuit. Dans l’après-midi, on entend une fusillade à notre droite. Vers 2 heures, le colonel Rémond arrive au PC du bataillon avec le capitaine Sénéchal. Il reste une heure à conférer avec le commandant. La fusillade continue toujours sur la droite ; on dit que c’est la 8e qui est attaquée.

À la hâte, nous communiquons qu’il faut redoubler de surveillance.

Quand je rentre au PC du bataillon, le commandant est parti à la 8e compagnie avec le colonel et sa suite. Carpentier est parti avec eux.

Nous vivons des heures tragiques et attendons, anxieux, une mauvaise nouvelle car ici les nouvelles ne sont jamais bonnes.

Vers 6 heures du soir, Carpentier rentre affolé, disant de communiquer que les cuisiniers doivent rester jusqu’à nouvel ordre. Il nous atterre en disant que la 8e a subi une forte attaque boche et se voit réduite à la moitié de son effectif. Le sergent Lafaille, un petit bonhomme râblé, de mes amis, a défendu sa tranchée avec une poignée d’hommes comme un lion, enfilant les boches à la baïonnette. On l’a dit blessé très grièvement. Le commandant Jeannelle est blessé d’une balle à la cuisse. Il était au PC de lieutenant Péquin, commandant la compagnie, et, n’écoutant que son courage, est allé aux premières lignes afin d’encourager les troupes par sa présence. Je tremble pour mon cousin qui fait partie de la section De Brésillon.

Je communique tout au capitaine. À mon retour, le capitaine, commandant la 7e compagnie, blessé le 22 août et dont j’ignorais le retour, est près de nous. Il prend le commandement du bataillon.

La nuit est des plus agitées. Le ravitaillement n’a pas lieu.

30 octobre

Les blessés sont nombreux et les brancardiers ont de la besogne. Beaucoup de malheureux ont des plaies affreuses à cause des bombes.

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Soir d’Attaque en Champagne – eau-forte de Georges Barrière – Source : http://www.dessins1418.fr/wordpress/

Le matin, j’apprends avec un soupir de soulagement que la tranchée* Culine est reliée à la tranchée Lambert. Le capitaine Aubrun est satisfait.

Huvenois revient rayonnant. Au petit jour, l’arbre déchiqueté devant la tranchée de la 6e est tombé du côté ennemi et forme aussi une défense accessoire des meilleures.

La journée se passe comme les précédentes.

Les cuisiniers au petit jour et le vaguemestre* l’après-midi sont deux visites toujours bien reçues.

La position de la 8e, aux dires de Carpentier, est de plus en plus précaire. Dans l’après-midi, le commandant s’absente deux heures pour aller voir le lieutenant Péquin.

Vers le soir, je trouve le capitaine en pleurs. Le pauvre Lambert [1] est tué d’une balle au cœur. Le sergent Gibert a pris le commandement de la section. J’en conçois une profonde tristesse car le lieutenant tué était un modèle d’officier : brave, aimé de ses hommes, il était estimé de ses chefs. C’est une perte sans nom pour la compagnie. Le caporal Masson [2], médaillé militaire, est tué également. Le commandant apprend toute nouvelle à son retour. Il est grave et pensif.

Pour nous, nous ne vivons plus. Les nouvelles de la 8e compagnie sont de moins en moins bonnes. Là-bas, c’est un déluge de bombes qui causent des trous énormes dans les rangs.


[1] Lambert : il s’agit de LAMBERT Auguste. Voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (28 octobre 1914 au lieu du 30 octobre) semble correspondre.

FicheMDHarchives_G590146R

[2] Masson : il s’agit peut-être de MASSON Émile .
Voir ci-dessous la fiche Mémoire des Hommes qui, en dehors de la date de décès (30 novembre 1914 au lieu du 30 octobre) pourrait correspondre.
FicheMDHarchives_H740234R

18 octobre

Relève de tranchées

Nous rentrons au petit jour. Il a encore plu la nuit. Les terrains sont détrempés et on glisse à tout instant. La journée est encore agrémentée de quelques obus.

Je vois à plusieurs reprises le lieutenant Péquin qui loge avec le capitaine Sénéchal.

Je vois aussi mon cousin Louis qui est en réserve non loin de moi. Ni l’un ni l’autre n’avons de nouvelles des nôtres.

Hier soir, nous avons touché de nouveau du tabac. On passe sa journée à fumer. Vers 5 heures de l’après-midi, nous recevons l’ordre de relève*. Il commence à être temps. Chacun était fatigué.

Bientôt, l’adjudant de bataillon et les quatre fourriers*, suivis de notre clairon cuisinier Gauthier, nous partons faire le cantonnement à Florent.

Il fait déjà nuit noire. Heureusement nous connaissons un peu la route à travers bois et Gauthier la connaît très bien. Le temps et brumeux. Il a plu. On glisse. De guerre lasse, après un certain parcours et des chutes nombreuses, nous allumons une lanterne que nous avons avec nous. On se suit à la queue l’un de l’autre. Plusieurs fois, des officiers rencontrés nous ordonnent d’éteindre notre bougie. Nous allons attirer des obus, dit-on. On rallume chaque fois un peu plus loin.

Enfin, après une marche impossible à décrire, on descend une pente glissante où sont stationnées des troupes qui, elles aussi, protestent contre la lumière. De guerre lasse, nous l’éteignons. Je prends une bûche dans la descente. Il peut être 8 heures. Nous sommes dans La Harazée.

On continue et à la sortie nous faisons une longue pause qui nous semble délicieuse car on n’en peut plus. Nous quittons pour nous appuyer une forte côte du haut de laquelle nous apercevons toutes les lumières de La Harazée. Des batteries d’artillerie y sont installées.

Gallica-batterie On file clopin-clopant. La route fait un serpentin. Nous arrivons dans une autre agglomération que nous ne connaissons pas. C’est la Placardelle. Beaucoup de monde y circule et c’est un brouhaha indescriptible. Nous faisons de nouveau la pause à la sortie. C’est à croire que nous ne pourrons aller plus loin.
Un cycliste arrive et bute contre nous.Gallica-Vaguemestre On va s’invectiver quand on reconnaît la vaguemestre* Renaudin qui vient à la rencontre du bataillon. On lui dit qu’il peut attendre toute la nuit car le bataillon n’est pas près d’arriver. Il se charge donc de retourner et de nous conduire à Florent, village que nous ne connaissons pas. Il peut être 10 heures du soir.

Bientôt, c’est une nouvelle côte qu’il faut passer rapidement, car les balles y sifflent. Cela nous laisse froids, on en a vu bien d’autres. D’ailleurs impossible d’aller plus vite, on n’en peut plus.

On fait la pause de nouveau, désespérant d’atteindre jamais le contournement. Il y a encore 6 km à faire, on repart. Pour me distraire, je compte les pas, heureux de rapprocher petit à petit.

Gallica-ArtillerieConvoiNous rencontrons des convois d’artillerie en quantité. Il ne pleut pas mais il a plu et les terrains sont boueux. De chaque côté de la route, c’est un bois. On désespère d’en voir la fin.

Enfin, après deux heures de marche et de multiples pauses espacées de 500 en 500 mètres, nous atteignons notre but. On tourne à gauche et une sentinelle*, 100 mètres plus loin, nous arrête. De Juniac a le mot heureusement et nous passons.

On voit ou plutôt on devine les premières maisons. On tourne à droite, voici une rue qu’on monte, guidés toujours par Renaudin et nous arrivons bientôt sur la Grand-Place.

Arrivés, cri de joie ! Mais le cantonnement* est à faire !

4 octobre

La 8e a été relevée [1] également. Nous l’avons près de nous et dans notre gourbi [2] son chef, le lieutenant Péquin que chacun préfère de beaucoup à celui de la 7e.

Je communique plusieurs fois des notes à mon commandant de compagnie. J’en profite chaque fois pour abattre quelques pommes en passant dans le verger.

Chaque matin d’ailleurs, au petit jour, nous allons chacun chercher le compte rendu de la nuit. Cela nous réchauffe les pieds.

La route est à présent et à tout instant arrosée de shrapnels*. Ce n’est pas agréable. Dans l’après-midi, je mets deux heures pour faire les 1500 mètres de retour car je tombe en plein bombardement et suis obligé de laisser passer les rafales et de m’abriter. La route est couverte de trous d’obus, ainsi que les champs avoisinants.

CP-trousObus

Soldat allemand devant un trou d’obus – Argonne.

Dans la nuit, Crespel, le cycliste, revient en bicyclette avec une partie des vivres. Il roule dans un trou d’obus et s’endommage le nez. On rit souvent, malheureusement, du mal des autres. On rit beaucoup en effet ; surtout qu’il avait enfourché sa bicyclette, aux dires de Gauthier qui survient tranquillement à pied parce que des obus tombaient dans Saint-Thomas. On déplore seulement la perte d’un bouteillon de riz.

Le commandant fait toujours popote* avec nous. Il a un bon coup de dents.

La journée est calme. J’ai trouvé une veste assez potable. Comme je n’ai pas l’embarras du choix et qu’il fait froid, je l’endosse. Elle me va d’ailleurs assez bien. Peu difficile, je suis très satisfait.

Je n’ai plus de nouvelles de la maison. J’écris quand même chaque jour. Je réclame des colis. Nous sommes dénués de tout. On dit que les lettres arrivent mieux ouvertes. Les adresses sont « armées en campagne avec indication de la brigade, de la division et du corps ».

Nous sommes toujours démunis de tabac, mais nous avons espoir d’en toucher ce soir. On parle d’une relève proche. Ce n’est pas trop tôt. La voiture d’outils qui vient chaque soir nous amène de la paille. On est heureux.

Le temps se maintient beau. Le matin, toujours un fort brouillard. Puis c’est le soleil.

Beaucoup de monde se plaint d’être couvert de vermine. Ceci, ajouté aux coliques, c’est le bouquet.

 


[1] La relève : c’est le remplacement d’une unité par une autre dans les tranchées. Opération dangereuse car bruyante et conduisant au regroupement d’un grand nombre de combattants, elle se fait généralement de nuit. Sa périodicité n’est pas fixée strictement, mais une unité en première ligne est généralement relevée au bout de quatre à sept jours. La relève s’effectue par les boyaux.

[2] Gourbi : Dans l’argot des combattants, désigne un abri. Le terme s’applique peu en première ligne, il est utilisé surtout à partir de la seconde ligne jusqu’au cantonnement. (Renvois : Abri, Cagna, Guitoune)