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25 décembre

Dans un cagna (Meuse)Il est 2 heures du matin quand nous nous étendons sur un peu de paille, la portion la plus propre de celle que nous avons trouvée ce matin et que nous avons gardée. La tête sur le sac, le passe-montagne sur la tête, un cache-nez au cou, des gants aux mains, enroulés dans 2 couvertures, allongés côte à côte sur des toiles de tente posées sur la paille, nous ne tardons pas à nous endormir tandis que le feu se consume. Je revois la messe de minuit des Noëls heureux, le chœur constelle de milliers de bougies qui sont autant d’étoiles, le petit Jésus si doux, si gentil, si pur dans sa crèche, les bergers, la vache qui semble réchauffer pieusement le petit corps si frêle ; j’entends les chants si émotionnants « Il est né le divin enfant », le « minuit chrétien » chanté d’une voix mâle, vrai chant de gloire, appel à l’univers, « peuple, debout ! »

Je mange la coquille de Noël, j’embrasse le visage aimé et souriant de ma mère, on se félicite, on se souhaite de nombreux Noëls en famille, on se complimente, tous les visages rayonnent de la joie chrétienne. Je me réveille : c’est Noël, il est né, le rédempteur.

Triste réveil ! Le gourbi* froid, des ronflements qui me rappellent vite à la réalité. Quelqu’un me secoue, une bougie à la main, c’est mon agent de liaison Pignol. Une note est à communiquer à la 5e compagnie ; le capitaine Sénéchal demande que j’y aille personnellement. Je me lève et part dans la nuit noire me guidant selon mon habitude par points de repère. Il est 4 heures du matin.

Charles

Portrait de Charles Gabriel. Avec l’aimable autorisation d’Hélène Guillon sa petite nièce.

Le capitaine repose, je le réveille. Aussitôt il pousse une dithyrambe sur les artilleurs et me raconte la triste chose : une rafale de 75 trop court est tombée dans nos lignes.

Nous déplorons la perte de 5 tués dont le sergent Gabriel [1], un de mes amis. 6 blessés doivent être enlevés par les brancardiers : c’est la réponse du capitaine Sénéchal à sa note que j’apporte ; les brancardiers vont arriver.

Triste Noël et triste idée de l’artillerie de fêter le réveillon en tuant des nôtres. L’idée du capitaine est qu’ils avaient bu ; des enquêtes seront faites mais à quel résultat presque nul, aboutiront-elles ? Cela ne rendra pas l’existence aux malheureuses victimes.

Je rentre à mon abri ou bien attristé par la mort de mon ami Gabriel je me recouche et reprends le somme interrompu.

Au jour vers 8 heures nous voyons arriver en tenue de simple soldat le commandant Desplats, petit, rapide, un bâton à la main. Il s’arrête, demande d’un ton sec ce que nous faisons là et repars aussitôt de la même marche rapide et saccadée. Un instant il s’arrête au PC Sénéchal : il faut le conduire à la 5e compagnie. Vivement je m’élance. Nous partons. Avec nous se trouve le lieutenant-colonel du 120e qui vient de passer la succession à notre chef. Rencontrant les cadavres du 120e à l’entrée du boyau, on se découvre tous trois et on commence rapidement l’ascension. Nous trouvons le capitaine Aubrun qui hume l’air dans son boyau. J’attends une demi-heure à la porte de l’abri. Puis nous rentrons. Le commandant Desplats glisse et descend rapidement le boyau sur le dos : j’ai toutes les peines du monde à ne pas rire. Arrivé au bas de la cote, pour comme bien on pense, il se ramasse simplement sans mot dire. Nous voici au PC Sénéchal ; mon rôle est terminé.

Périscope de tranchées en 1ere ligne [soldat utilisant l'appareil] : [photographie de presse] / [Agence Rol] - 1À 10 heures, nouvelle séance. Les 2 officiers reviennent ; je repars avec eux. Nous trouvons le capitaine Aubrun et filons plus haut dans les tranchées de la compagnie ou je vois le lieutenant Vals, Gibert, Pellé, Cattelot, sergents, à qui je dis Bonjour. Ce dernier [Vals] à un périscope. Durant qu’il regardait une balle est venu frapper le haut de l’instrument.

Nous filons rapidement longeant les tranchées vers la 6e compagnie où nous voyons le capitaine Claire. Un temps d’arrêt. Nous continuons et sur ma demande « dois-je suivre » je reçois une tape amicale sur l’épaule « oui, mon brave ».

Au passage le commandant fait connaissance avec le sous-lieutenant de Monclin [2] en sergent de réserve qu’il félicite. Le sous-lieutenant de Monclin salue.

Nous voici hors de la 6e compagnie. Toujours d’une marche rapide nous filons à travers bois. Tout étonnés j’arrive au secteur Fontaine aux charmes où se trouve du 120e ; je suis tout heureux de revoir les lieux, le gourbi que nous avons confectionné, etc.…

Après une bonne pause d’une demi-heure, conduits par un agent de liaison du 120e, nous filons dans la direction de La Harazée. Soudain nous obliquons à gauche, dégringolons littéralement une crête et nous trouvons parmi des territoriaux qui font des tranchées et des abris. Nous sommes bientôt, après nous être égarés dans un marais, sur le chemin de La Harazée Fontaine Madame. Le commandant cause durant 20 minutes avec un vieux commandant de génie tout blanc. J’attends me demandant à quoi je sers ; sans doute à être officier d’ordonnance, mais je suis bien piètre pour cela.

Nous repartons. Je puis disposer. Quelle balade, mes amis ! Le commandant Desplats est un homme caoutchouc, ressemblant quand il marche à une balle qui rebondit sans cesse, et pour le suivre Dieu sait s’il faut avoir des jambes. Je fais 800 m sur le chemin et retrouve mon gourbi et mon sac sur lequel je m’affale en racontant le tisser aux camarades qui sont là. Il est 1 heure.

Les cuisiniers des officiers font popote* ; Gauthier me réchauffe quelque chose : je suis affamé et mange d’un appétit formidable ; je mangerai un cheval.103-cuisine-dans-les-boisReposer, avec Carpentier je commence l’aménagement de notre toit car nous craignons la pluie et ses conséquences désastreuses d’inondation. L’après-midi se passe. Mais n’est pas longue d’ailleurs, car il fait noir de bonne heure.

Gauthier et Jombart ne tarde pas à nous quitter ; ils ont le filon car ils viennent ici à peine 6 heures sur 24 ; ils sont précieux par contre ; chacun se plaît à reconnaître Gauthier comme un modèle de cuisinier ; quant à Jombart, il nous procure grâce au personnel des voitures tout ce que nous désirons pour améliorer notre popote, beurre, confiture, camembert, tabac.

Nous nous enfermons à 4 dans notre gourbi, Crespel, René, Carpentier et moi, et faisons un feu d’enfer autour duquel nous nous étendons, car la température est basse. Nous faisons du chocolat et Carpentier, bon fieu ( ?), en donne à la sentinelle double de la 7e compagnie qui se trouve non loin de notre abri.

Une nouvelle qui ne nous plaît guère, innovation due sans doute au commandant Desplats, vient nous surprendre durant notre modeste repas. Cette nuit, des rondes seront faites dans tout le secteur du bataillon par les sous-officiers de liaison à des heures indiquées par le chef de bataillon. En conséquence Carpentier et moi tenant un papier à faire émarger par les 4 commandants de compagnie : rondes à 11 heures pour lui, 2 heures pour moi. C’est une douche ; d’autant plus que la nuit est noire, le secteur long et le chemin inconnu. Zut !

On se couche quand même. Il faudra se débrouiller. Enfin on en a vu d’autres !


 


[1] Gabriel : il s’agit de Charles GABRIEL de la 5è Cie, évoqué plus en détail ici: http://147ri.canalblog.com/archives/2011/03/19/20671465.html
Merci à Christophe Lagrange pour ces précisions et son site dédié aux hommes du 147e R. I. : http://147ri.canalblog.com/. Lire son commentaire déposé le 28 août dernier.

Merci à Hélène Guillon, sa petite nièce, pour l’autorisation de publier les documents ci-dessous. Des informations complémentaires sur la famille GABRIEL, et plus particulièrement François GABRIEL (frère de Charles et grand père d’Hélène), sont disponibles sur le site de Dixhuitinfo.

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Charles GABRIEL entouré de deux de ses camarades du 147e RI

lettre

Son acte de décèsacte de décès

7_charlesmedaille_800  FicheMDHarchives_F050906R

[2] sous-lieutenant de Monclin : il s’agit de André THIERION de MONCLIN, évoqué plus en détail ici : http://147ri.canalblog.com/archives/2011/12/05/22876738.html sur le site de  Christophe Lagrange dédié aux hommes du 147e R. I. : http://147ri.canalblog.com/.

 

20 décembre

Repos à Florent

On se lève tard ; il est 8 heures. Le temps n’a pas changé, mais la pluie tombe cependant moins forte.

Boueux comme nous sommes, nous n’avons pas de goût à nous nettoyer. Cependant il faut faire un brin de toilette, car c’est dimanche aujourd’hui et si on veut aller à la messe et entendre la voix magistrale de notre aumônier…

À 10 heures, Carpentier, Jombart et mon cousin m’accompagnent. Pas de musique cette fois. L’aumônier nous parle de la fête de Noël qui approche et d’une messe de minuit. Serons-nous là ? J’en doute beaucoup. Les tranchées*, ce jour, seront sans doute notre lot. Enfin, le devoir prime tout.

Je vois à la sortie mes amis sous-officiers de la compagnie, Lannoy, Culine, Cattelot, Gibert, Maxime Moreau. Ceux-ci prennent leur repas ensemble dans une maison située dans le premier cantonnement* occupé par nous, près de la rue C, chez le père Thomas, le coiffeur de Florent. Ils me racontent les « tuyaux » que tout coiffeur donne, en particulier que des batteries japonaises « ! » sont arrivées à Florent et qu’une grande offensive se prépare. J’ai déjà passé entre les mains du père Louis ; je vois qu’avant la guerre il devait être tondeur de chiens et de chevaux. Enfin, sur la place, parmi notre petite réunion, ce sont des explosions de rire. On se donne rendez-vous pour 5 heures ce soir au concert. Sur les instances, je promets de chanter et d’amener Pignol, mon fameux agent de liaison* dans son répertoire.

Nous nous quittons et chacun se rend à sa popote*. Nous restons longtemps à table, installés d’une façon rudimentaire mais mangeant et buvant gaiement. Dehors la pluie a cessé depuis la messe, mais il fait une boue qu’on regarde à deux fois d’affronter.

Assis sur mon sac, j’adresse aux miens mes vœux de bonne année, souhaitant que 1915 voie la France victorieuse et le retour dans nos foyers.

Vers 3 heures, je vais chercher Pignol qui se trouve dans son escouade* car notre local est trop exigu pour prendre avec nous les agents de liaison en second. Nous allons ensemble au concert et nous faisons inscrire pour quelques chansonnettes.

Cliquer pour voir l'image en taille réelle

Pignol, des plus gais, prend un pseudonyme qui lui sort je ne sais d’où et s’intitule « Dargère » (?). C’est une bonne soirée en perspective avec une claque monstre de la part de nos amis. On nous indique une entrée spéciale, des places réservées ; je monte sur l’estrade et fais quelques roulades sur le piano.

Nous voici donc artistes. C’est charmant. À 5 heures 30, nous entrons par le foyer (!) au milieu d’une fanfare qui attaque un pas redoublé. Les premiers numéros paraissent. La salle est comble, ayant quelques officiers au premier rang, en particulier le médecin-chef de la 4e division d’infanterie qui préside.

Je chante ma chansonnette [1] sur le 147e en Argonne, de ma composition.

J’obtiens un grand succès, plus grand que je ne l’avais espéré, surtout que mes amis ne me ménagent pas une claque fournie.

Pignol se dépense sans compter. Artiste accompli aux mimiques désopilantes, il fait rire aux larmes l’auditoire et se fait bisser plusieurs fois. Le pauvre garçon en a chaud.

Une petite saynète donnée par deux camarades du 20e et un artilleur termine la séance qui est des plus réussies. Je rentre heureux, félicité à mon hôtel. Décidément ma chanson a du succès.

En voici d’ailleurs quelques fragments, les plus intéressants :

2e couplet

Il y a relève ce soir à la Gruerie,
On va faire son petit stage en tranchées ;
Le régiment et son colon défilent,
Et allez voir on sent que ça va barder :
Il ne fait pas de fla, fla,
Mais il est un peu là
!

Refrain

Le 147                                Pan pan Pan pan
Avec lui
ça pète-sec,                          d°
Tenez-vous bien, les boches,            d°
Il va vous trouer la caboche,           d°
Demain matin                                  d°
Il se mettra au turbin                      d°
Et bientôt ses pruneaux                  d°
Vont vous chatouiller la peau.     

3e couplet

Il fait nuit noire ; on se casse la bobine ;
Il pleut, ça glisse, et puis il y a des trous.
C’est des obus, chacun se l’imagine,
Qui ont flanqué cela un peu partout.
Voici La Harazée,
Vivement les tranchées !

Refrain

On monte la côte,                Pan pan Pan pan
Elle n’est pas rigolote ;                    d°
Ouf ! Nous voilà dans le bois ;       d°
Aïe ! Mais ça siffle, quoi !                d°
Damné métier,                                d°
Tiens, voilà le sentier,                     d°
Attention aux socquettes !             d°
Comme balade, c’est rien chouette !

 Autre couplet

Et qu’on roupille ! On en tressaille d’aise,
Les yeux fermés, la tête bien au repos.
Mais on éprouve soudain comme un malaise,
Des chatouillements tout le long de la peau.
Ça, vieux, c’est des machins
Qui nous viennent de Berlin !

Refrain

Bientôt on voit                     Pan pan Pan pan
Des gens remplis d’effroi,                 d°
Aux lueurs de chandelles                 d°
Se grattant les aisselles ;                  d°
Et chacun d’eux                                d°
Trouve, ah ! Le malheureux !          d°
Des nichées de… petits frères…    d°
Ce que ça gratte ! Aïe, ma mère !

 Avant-dernier couplet

Cote 211 ! Encore un drôle de machin !
Là, pas de boches, c’est le jardin du repos.
Quelques obus font un peu de potin
Mais nous avoir, ah ! Pour ça, c’est la peau !
Avec la Seigneurie
Comme abri pour la nuit :

Refrain

C’est ce qu’on appelle
Son séjour à Grenelle.
Après ça tranquillement
On se ramène à Florent.
Là on tripote,
On touche des tas de camelote,
On boit du picolo
Et on redevient costaud.


[1] Chansonnette et chansons…, pour en savoir plus : 1914-1918 : La chanson dans la Grande Guerre 10/10/2014 (article Bibliothèque Municipale de Lyon)

 

14 décembre

La nuit fut bonne. Je suis retapé. Il me faut procéder à la toilette de mes vêtements et ce n’est pas une petite affaire. J’appelle le brave garçon qui, la fois dernière, me donna un coup de main : jamais je n’en sortirai surtout que les notes abondent toujours.

Des tas de notes sont perdus par notre nouveau chef de corps qui est certainement des plus paperassiers. Salut au régiment, tenue, exigence, etc.… On se met déjà à regretter notre colonel.

Je vais voir le capitaine Aubrun qui est très satisfait de son logement. Tant mieux, mais ce n’a pas été sans mal.

À mon retour, je fais connaissance d’un nouveau camarade qui va s’adjoindre à la liaison comme sergent fourrier de la 7e compagnie. Le sergent fourrier actuel doit passer sergent major en remplacement de Gallois, passé adjudant de bataillon. Charmant garçon, étudiant en droit, lettré, Sauvage, le nouveau venu, est aussitôt un ami pour moi.

Notre installation est des plus médiocres. Les pièces sont exiguës. Nous sommes les uns sur les autres. Encore s’est-on procuré dans une maison d’en face quelques sièges prêtés aimablement par une bonne dame.Gallica-ReposPailleDans l’après-midi je vais voir quelques sous-officiers de la compagnie. Ceux-ci sont installés dans une grange délabrée. Ils font popote, si on peut appeler cela faire popote. Une toile de tente installée sur la paille leur sert de table : chacun a son couvert et s’accroupit autour, tandis que d’une marmite on sort le rata proverbial. C’est minable.

Florent-APD0000702Je suis cependant invité pour le soir. J’accepte l’invitation et me rends armé de mon couvert à l’heure fixée.

La toile de tente est installée ; on s’accroupit, attendant le serveur. Quelques-uns sont absents, Culine, Lannoy, Cattelot, Gibert, Maxence Moreau. On me dit que ces Messieurs font bande à part. Je me trouve donc avec Gabriel, Pellé, Vaucher, Hilmann, Diat, Noel, nouvellement promu, Lamotte, sergent, Jamesse, caporal fourrier, et quelques autres. Je fais connaissance avec Vaucher, ancien sous-officier d’une autre compagnie, de retour après blessure reçue à la Marne. Celui-ci a dû raconter certaines choses intéressantes au sujet de sa convalescence à l’arrière, car on le taquine au sujet d’une soi-disant marquise qui l’aurait reçu comme son enfant et tout le monde l’appelle « Loulou ». Cela fait rire et au fond n’est pas méchant.

Malgré notre manque de confort, nous nous amusons entre nous et la fin du repas se termine en chansons. Pellé en particulier, de sa belle voix de baryton, chante le « Noël du paysan ».

On parle d’un concert que la 4e division, la nôtre, a organisé dans une grange, vraie salle de spectacle, dit-on, mise à notre disposition par l’autorité. Chaque soir à 5 heures 30, entrée libre : concert jusque 8 heures. Les chanteurs des régiments au repos peuvent se faire inscrire chaque après-midi car un comité est à la tête de tout cela, formé de territoriaux à demeure à Florent. Nous nous promettons d’aller voir le lendemain.

26 novembre

Je suis en plein sommeil quand la 5e compagnie rentre de son équipée. Le capitaine vient me voir. Je me lève et l’informe que le cantonnement* est le même. Il fait un temps de chien au-dehors et le capitaine est assez bon pour me dire de me recoucher.

Au matin, nous recevons la visite intempestive du sergent major de Brésillon. On dit qu’il brigue la place d’adjudant de bataillon. Gallois et lui ont une petite algarade. Il s’en va de guerre lasse, houspillé par nous.

Dans la matinée, on parle encore d’un changement possible : Sénéchal, adjoint au colonel, de Lannurien, chef de bataillon.

Vers midi, je suis appelé par le capitaine pour un changement de cantonnement, le 1er bataillon ayant quitté le cantonnement pour les tranchées*.

Je passe donc mon après-midi à installer la compagnie vers l’autre extrémité du pays, direction La Harazée. CP-LaHArazee866_001L’ordonnance Vandewalle (?) et les cuisiniers prennent deux maisons abandonnées et trouvées dans le plus grand état de malpropreté. Petit à petit, le nettoyage se fait et le soir ces Messieurs sont installés.

J’ai fait mieux et réservé une maison pour mes amis sous-officiers qui y installent un semblant de popote.

Avant mon repas, je vais les voir. Ils sont déjà installés et occupés à se restaurer. Je vois Culine, adjudant, Lannoy, sergent major, Gibert, Cattelot, Maxime Moreau. Lannoy me dit que mon agent de liaison, Blanchet, va passer incessamment caporal.

L’adjudant Culine me dit de prendre un bon petit soldat que j’accepte aussitôt : Pignol.

Je rentre à la liaison. Nous sommes un peu en verve de gaieté ce soir. Jombart nous a préparé un riz au chocolat réussi. Nous chantons, restant à table assez tard. Carpentier ayant trouvé quelques nippes de femmes, s’en est affublé et nous avons beaucoup ri.

Nous sommes toute une famille. Gallois, Carpentier, Courquin, et moi, sergents fourriers, les caporaux fourriers Jombart et Legueil des 6e et 8e compagnies, les deux cyclistes, Crespel et Cailliez, que nous appelons « Mievile » (??) Gauthier, René, et les deux agents de liaison élèves caporaux de la 5e, Blanchet et de la 7e Frappé. C’est un véritable état-major pour le capitaine commandant.


 

23 novembre

Nuit à la cote 211 – Ferme de la Seigneurie

Nuit excellente, agrémentée cependant de quelques démangeaisons. On se lève au plus vite à 8 heures tandis que le courageux Gauthier est occupé à faire le café.

Les agents de liaison* en second sont heureux également dans leur coin. Ils nous sont d’un précieux concours pour copier les notes et les communiquer car les notes sont très nombreuses.

Je vais voir Louis qui a passé un bon séjour de tranchées* et ne m’apprend rien de particulier.

A la compagnie, le capitaine est installé avec le sous-lieutenant Vals. Le feu pétille. Les cuisiniers Chochois et Chopin rivalisent d’activité.

Dans une pièce de derrière, je trouve l’adjudant Culine, Lannoy, sergent major, les sergents Moreau et Gibert occupés à se nettoyer et faire popote.

Dans l’après-midi, je vais au PC du colonel toucher, avec une corvée, des chaussures et du linge. J’amène tout cela au sergent major qui va en faire la distribution et j’hérite d’une paire de chaussettes.

Le temps est au beau depuis midi. Notre popote* de liaison fonctionne bien. Nous renvoyons vers 2 heures de Juniac qui nous fait ses adieux : il est évacué pour fatigue mais assure revenir sous peu. Nous voici donc avec Gallois à notre tête. Cela marchera admirablement car nous sommes tous, au même titre, bons camarades. Le caporal fourrier* Jombart met la note gaie dans notre comité. Il connaît de plus la cuisine. Nous commençons à manger très bien. Un riz au chocolat clôture le repas et c’est le cas de dire que nous nous léchons les doigts. Nous avons de plus trouvé dans la maison assiette et verres. C’est une des très rares fois qu’il nous est donc donné d’avoir un table, des bancs et un couvert. C’est donc la plus franche gaieté parmi nous.

Le vaguemestre* nous apporte chaque jour des paquets de lettres pour nos compagnies. Nous en avons chacun pour une heure à les trier. Bon nombre de paquets arrivent également. Ce sont des cris de joie quand l’un d’entre nous en reçoit un.

CP-arriveecourrierLe village est évacué. Des bruits comme toujours courent qu’il y avait des espions. Le moulin à eau fait toujours entendre son cri lugubre.

Une autre surprise peu agréable est l’arrivée de quelques obus non loin du village. Cela enlève un peu de notre verve.

Nous recevons la visite de Bourguignat, un ami de Sedan, secrétaire du trésorier-payeur. Il vient nous faire signer comme témoins les actes de décès de camarades tombés que nous connaissons ou les certificats d’origine de blessures de blessés connus.

Vers 4 heures, je pars à la ferme de la Seigneurie, laissant Blanchet à la liaison. 5e et 6e compagnies prennent position de nuit à la cote 211. Le capitaine Aubrun s’installe à la ferme. Je passe la soirée à jouer aux cartes avec quatre brancardiers du bataillon, deux infirmiers ayant un poste de secours, Tessier et Wydown (?), dans une pièce de la ferme. J’hérite d’un lit de Steenvoorde (Nord) avec draps, la ferme venant à peine d’être évacuée. Un ami du pays.
Je passe une nuit excellente et reste à la Placardelle au petit jour.

Les compagnies ne tardent pas à rentrer également.

 

21 novembre

Relève des tranchées

Ce matin, allant chercher le compte rendu de la nuit, je vois au PC du capitaine un sergent, Peltier, chef de section des mitrailleuses. Il est blessé à la tête, mais reste : le capitaine le félicite, heureux, car deux de ses chefs de section manquent à l’appel. Gibert commande la section Huyghe. Je vois également le sergent Pellé qui se chauffe : il est gelé. Il est vrai que la température est basse. Les boches sont calmes, me dit-il. En effet, quand je communique, les balles sifflent moins.

Vers midi, nous apprenons que nous sommes relevés ce soir par le 120e.

courrier1Dans l’après-midi, le vaguemestre* m’apporte du courrier : lettre de René Parenty qui est au 8e territorial, cantonné à Crochte, village près de chez moi ; sa dame et sa fille sont à la maison et il a la joie de les voir ; il me parle de la vie de famille qu’il mène et cela me fait gros cœur malgré tout. Combien je donnerai pour une heure chez moi ! Je reçois également des nouvelles de ma mère, avec mandat toujours reçu avec joie et empoché avec hâte.

Aussitôt je réponds un simple mot avec mes vœux de sainte Catherine pour ma tante et de conservation pour le lieutenant Parenty.

Je communique l’ordre de relève au capitaine, ainsi que l’envoi de tous les cuisiniers à la Placardelle. C’est là que nous cantonnons de nouveau.

Vers 7 heures, je pars laissant Gallois avec le capitaine commandant le bataillon et les agents de liaison en second. Jombart, caporal fourrier de la 8e, Courquin et un sergent de la 7e m’accompagnent ainsi que Gauthier, notre cuisinier toujours précieux comme guide dans le bois et qui connaît la route à fond. Je suis chargé de faire le cantonnement*. Nous passons à la Harazée par un beau clair de lune. J’y prends au passage pas mal de cuisiniers qui m’attendent.

Il est 9 heures quand nous arrivons à la Placardelle, but de l’étape. Je vois l’officier du régiment qui, après quelques tergiversations, me donne le cantonnement de la dernière fois en me rognant toutefois quelques maisons, particulièrement notre maison de la liaison.

Le cantonnement est donc rapidement réparti entre les compagnies.

Pour la 5e compagnie, je loge la troupe comme la première fois. Le village est évacué depuis quelques jours. Quelques maisons sont démolies : le village a donc reçu des obus. C’est ce que j’avais prédit. Je trouve des hommes de fractions isolées un peu partout. Rien à craindre. Ils partiront rapidement avec un foudre de guerre comme le capitaine Aubrun.

Dans le logis de mes officiers, je trouve des hommes du 120e en train de veiller un capitaine défunt. Le corps sera enlevé la nuit. La maison est dans le plus grand désordre. J’abandonne donc le projet d’un logement ici.

Je vais donc voir la demeure ou plutôt le refuge lors de la première arrivée. Les habitants ont disparu. La maison est donc entièrement à moi avec ses quatre pièces. J’y installe les cuisiniers du capitaine. Ceux-ci nettoient à la lueur de bougies. Il y a deux fauteuils, deux lits avec sommier, une table en chêne, un buffet, quelques chaises. C’est tout ce qu’il faut pour faire une pièce convenable.

Je rencontre Jombart tandis que les cuisiniers touchent les vivres aux voitures qui sont arrivées. Il a trouvé une maison pour nous.Lieu:Saint Crepin aux Bois - Description:GUERRE 1914-15 - OFFEMO Elle se compose d’une seule vaste pièce avec lit au fond, foyer, commode, buffet, table et quelques chaises. Le tout doit être nettoyé mais Gauthier a déjà un balai en main et procède à l’installation.

Derrière, par une porte vitrée, on accède à une petite cuisine. C’est là que nous logerons nos agents de liaison en second.

Et voilà ! Le feu pétille. Il peut être minuit. Attendons l’arrivée du bataillon.


 

5 novembre

Dans la matinée, j’apprends que les nominations vont paraître. Je vois mon ami, le sergent Huyghe, qui espérait le galon d’adjudant mais qui ne fut pas proposé. Le pauvre garçon, qui commande sa section en brave, est un peu attristé. Je le console, lui disant que ce sera pour la prochaine fois.

Les nominations paraissent. Vannier, sergent à la 8e compagnie, passe adjudant. Gallois est nommé sergent major. Il reste cependant à la liaison. Une petite discussion s’engage à ce sujet. Je ne m’y mêle car cela m’est absolument égal. À la compagnie, nous n’avons aucune nouvelle de la proposition Gibert.

Dans l’après-midi, le capitaine part à cheval saluer la dépouille de Lambert enseveli au cimetière de La Harazée.laHarazee-cimetiereCP-213_001

Vers 13 heures, nous partons de nouveau à notre position d’hier. Le sous-lieutenant Vals prend le commandement du bataillon. Les autres officiers sont partis reconnaître le secteur au bois de la Gruerie. C’est donc que nous relevons bientôt. Je crois que nous passons notre temps dans le bois, craignant un bombardement du hameau dans lequel nous sommes cantonnés.

Vers le soir, il commence à pleuvoir. C’est le sale temps en prévision de la relève*. Nous rentrons au cantonnement*.